Marseille est-elle le nouvel Hollywood ?

Photo de la colline de Grand Littoral à Marseille reprenant les lettres d'Hollywood.
Non loin des quartiers Nord, la colline Grand Littoral s'inspire d'Hollywood. Crédit photo Sergey Novikov

Des tournages de plus en plus nombreux, installation de grands studios, une école nationale… Depuis qu’Emmanuel Macron a esquissé de grands projets pour l’audiovisuel dans la ville en septembre 2021, Marseille se rêve en Hollywood de la Méditerranée, et pourrait bien y parvenir.

Une allée de palmiers, le ciel bleu, le soleil harassant. Les murs sont décorés à la bombe par les visages de Michael Corleone du Parrain, Maître Yoda, ou Harley Quinn de Suicide Squad. S’il n’y avait pas le bruit des cigales, on se croirait sur la route d’un studio hollywoodien. Un panneau sur un rond-point resitue : « Provence Studios ». Nous sommes loin de la Californie, en face du canal qui relie l’étang de Berre et la Méditerranée, à Martigues, à quelques dizaines de kilomètres de Marseille. Sur l’un des plateaux de tournage, au fond d’une pièce noire, des dizaines de techniciens s’activent.

Voiture rouge vintage, danseuses et immeubles colorés, Ridsa, un chanteur français, est en train de tourner son prochain clip à La Havane. Mais il n’y a pas de décor, seulement de grands écrans LED arrondis, avec des images qui évoluent en temps réel pour donner l’apparence parfaite d’une ruelle cubaine. Ce studio du futur s’appelle The Next Stage. « L’image n’est pas fixe : quand la caméra bouge, les images bougent. On a une déformation des perspectives qui donne l’illusion qu’on tourne dans un décor réel », se félicite Lionel Payet Pigeon, son concepteur.

Économie carbone

Ce studio virtuel permet donc toutes les folies : filmer sur une plateforme pétrolière, dans le désert, à Barcelone, New York ou Tokyo. Le spectateur n’y voit que du feu. Pour Lionel Payet Pigeon, cette technologie va révolutionner le cinéma, car les scénaristes et les réalisateurs vont pouvoir se permettre des fantaisies qu’ils n’auraient pas pu financer. Elle pallie aussi les difficultés liées aux tournages dans les grandes villes comme Paris. « On a déjà des gens qui nous appellent pour des décors d’appartements haussmanniens, sourit le créateur de The Next Stage qui pointe aussi l’avantage de sa création sur le plan écologique. Entre vingt-cinq jours de tournage en réel et en virtuel, l’économie carbone est monstrueuse ». « En France, on est les seuls avec ce niveau technique et cette qualité, à être installés de façon permanente », se targue le président et fondateur de Provence Studios, Olivier Marchetti.

Au-delà de ce plateau de tournage du futur, les studios martégales disposent de plus de 26 000 m² de locaux. Des séries et des films français s’y sont installés, comme La Stagiaire, Titane ou Les Tuches 2. Mais Provence Studios attire désormais aussi de grandes productions américaines. Dernière en date : Serpent Queen, une série sur la vie de Catherine de Médicis, qui sera diffusée sur la chaîne Starz. Un tournage à 60 millions de dollars, qui a employé 450 salariés pendant six mois.

Quartiers Nord

Olivier Marchetti travaille désormais avec des sociétés comme la Warner Bros. Pictures ou la Paramount Pictures. Dans quelques années, il se verrait bien à la tête des grands studios de la Méditerranée, décrits par Emmanuel Macron, lors de sa visite à Marseille en septembre 2021. « On va s’agrandir sur Port-de-Bouc, on discute beaucoup avec Montpellier, il y a peut-être des studios à récupérer à Nice. Marseille est en plein milieu de tout ça. »

Le président de Provence Studios n’est pas le seul à se projeter. Le monde du cinéma marseillais est en ébullition depuis que le président de la République en a fait un des axes principaux de son projet « Marseille en grand ». Et la multiplication des studios est cruciale pour le futur de la filière. Le nombre de tournages a beaucoup augmenté ces dernières années dans la cité phocéenne, pour atteindre 493 en 2021. Emmanuel Macron a précisé dans son discours vouloir « contraindre les plateformes américaines à investir dans la création française ».

Et les géants du streaming semblent prêts à miser sur Marseille. Netflix y a en partie tourné sa série historique Transatlantic, et le film Classico de Amazon Prime Video, avec Ahmed Sylla, s’intéresse à la rivalité historique entre l’Olympique de Marseille et le Paris-Saint-Germain. Si ce développement continue, il va falloir plus de studios, mais trouver des terrains à Marseille reste délicat.

Illustration d’Iris Hatzfeld pour Telescope Magazine

« Hollywood à sa grande époque »

Ce qui pourrait redessiner le paysage du cinéma dans les prochaines années se trouve au nord de la ville, dans le XVe arrondissement. L’historique usine de sucre Saint-Louis, ouverte en 1857, pourrait bien devenir le lieu d’accueil de ces fameux grands studios de la Méditerranée. L’appel à projets a été lancé par le propriétaire des lieux. Provence Studios s’est positionné et la mairie de Marseille soutient le projet. D’autres installations sont également prévues. Le pôle média de la Belle de Mai, où se tournait jusqu’à peu la série Plus Belle la vie, va être modernisé. Une base logistique de 4 000 m² accueillera des bureaux, les stocks de costumes, des ateliers de décoration… Une fosse sous-marine permettra de tourner dans l’eau. Une antenne de la Cinémathèque française sera également aménagée.

« Les recherches de sites sont très actives, à la fois à Marseille, mais aussi dans les communes limitrophes », explique Sophie Joissains, vice-présidente de la Région Sud déléguée à la Culture. Dans le cadre du programme France 2030, cette dernière prévoit d’augmenter les budgets alloués à la filière de 30 %, pour atteindre 11,16 millions d’euros. « C’est un très… très gros plan. Ça sera un très beau pôle de l’image. » L’ambition n’est pas cachée, elle est de déployer un « Hollywood de la Méditerranée », mais « Hollywood à sa grande époque », plaisante l’élue.

Californie

Est-ce que Marseille pourrait devenir une capitale mondiale du cinéma de l’envergure du modèle californien ? Pour les acteurs de la filière, en tout cas, la cité phocéenne en a tous les atouts. « On peut passer de la montagne, à la mer. On a un climat proche de Los Angeles, la même lumière », avance Olivier Marchetti. « Il y a un vrai parallèle entre la région Sud et la Californie. À une époque, les tournages étaient à New York, puis ça s’est déplacé vers Los Angeles », détaille Erika Wicke, directrice de production et co-présidente de l’Association régionale des techniciens du sud-est du cinéma et de l’audiovisuel (ARTS).

La région dispose aussi d’un important vivier de techniciens qualifiés et de comédiens. Un lundi matin, dans une salle de la Friche de la Belle de mai, une actrice joue une journaliste poussive, qui tente de percer les mystères d’un meurtre, face à un commissaire nerveux. Le collectif de comédiens La Réplique organise un entraînement caméra pour ses membres. Pendant quelques heures, les acteurs jouent une scène chacun leur tour, l’animatrice analyse la performance en regardant l’écran. La plupart des comédiens professionnels de la région travaillent au théâtre. L’objectif de ce type d’atelier est de « faire monter le niveau » pour mettre en avant les talents locaux dans les productions audiovisuelles, affirme Xavier-Adrien Laurent, président de La Réplique.

Ladj Ly et Emmanuel Macron

« Même si le cinéma se développe énormément depuis trente ans, ça ne résout pas toutes les questions de l’emploi pour les acteurs. On fait travailler beaucoup de techniciens, beaucoup de figurants, mais jusqu’à présent, très peu d’acteurs », regrette-t-il. Ce dernier espère que la multiplication des tournages, notamment de séries, permettra de mettre en avant des comédiens moins connus. Les futurs visages du cinéma marseillais se cachent sans doute aussi parmi sa jeunesse. Et La Réplique tente de les dénicher. L’association organise des stages pour les 16-30 ans éloignés des accès aux enseignements artistiques. Et elle n’est pas la seule à s’engager dans ce travail. L’association Moovida forme de jeunes acteurs issus des quartiers prioritaires de Marseille. L’école Kourtrajmé, lancée par le réalisateur Ladj Ly, propose, depuis 2020, un apprentissage des métiers de l’audiovisuel.

La formation est, en effet, une des priorités du développement du cinéma à Marseille. Emmanuel Macron l’avait annoncé en septembre, l’école nationale supérieure Cinéfabrique va s’y implanter. Début juillet, les responsables de cette antenne marseillaise se préparaient à la rentrée. « Les formations qualifiantes et diplômantes sont attendues par les jeunes. Il y a un lourd besoin », relate Nawyr Haoussi Jones, qui a pris la tête de cette école. Une première classe préparatoire artistique a accueilli 19 jeunes en septembre 2023, des formations complètes seront développées en 2024. Pour le responsable de Cinéfabrique Marseille, « l’école va être une passerelle entre les jeunes qui sont éloignés de l’offre culturelle, de la formation cinématographique, vers le milieu professionnel ».

Inclusion et diversité

La question de l’inclusion des Marseillais à cet écosystème en développement anime les débats, dans une ville où un quart des habitants vit sous le seuil de pauvreté. L’une des réponses apportées par la mairie est de mettre l’accent sur l’éducation à l’image. « C’est un des éléments forts de notre politique, et ça commence très tôt, chez les jeunes enfants », soutient Jean-Marc Coppola, adjoint au maire en charge de la culture. Un autre défenseur de cette vision s’appelle William Benedetto, directeur du cinéma L’Alhambra, situé à L’Estaque, dans les quartiers Nord, qui s’engage pour l’éducation populaire depuis de nombreuses années : « Il faut qu’on se soucie aussi de cultiver ce territoire, de faire exister, découvrir, comprendre ce qu’est le cinéma. Développer la filière cinéma, c’est bien, mais il faut être ambitieux. Marseille a 900 000 habitants, une grande diversité, mais aussi beaucoup de problèmes, il faut mettre la barre haut ».

Les enjeux économiques, sociaux et culturels sont importants, et présents dans toutes les têtes des acteurs de la filière. « Ce bond qu’on s’apprête à faire est plus important que jamais. Il peut vraiment changer la configuration de la région, et son image à l’international », espère Xavier-Adrien Laurent de La Réplique.

Couleur politique

Comment Marseille va-t-elle être montrée dans les films et séries télévisées dans les prochaines années ? Quels rôles vont jouer ses habitants dans ce Hollywood de la Méditerranée ? L’identité forte de la ville va-t-elle perdurer face à ce développement ? Ces questionnements se font entendre pour le futur du cinéma. « Il faut que la carte postale qu’est Marseille soit utilisée, mais aussi que le cinéma et la télévision regardent ce qu’il y a derrière, prévient Xavier-Adrien Laurent. Il faut que ce territoire soit un vrai ferment et mis en valeur. Des gens le font déjà. Si on développe une offre pléthorique, le risque, c’est que ça disparaisse un peu au profit des grosses machines. »

Malgré les doutes, le monde du cinéma marseillais partage une vision commune de l’avenir, celle de faire de la cité phocéenne une véritable plaque tournante de l’audiovisuel français et international. Et tous les bords politiques partagent cette volonté. « Les communistes de Martigues veulent faire du cinéma, autant que la Région, tenue par l’ex-LR Renaud Muselier. Le gros avantage, c’est que le cinéma n’a pas de couleur politique », explique Arnaud Borges, producteur, qui travaille avec Provence Studios. Ce développement met tout le monde d’accord, et c’est assez rare pour envisager un avenir radieux et ensoleillé au cinéma à Marseille.

Sirine Azouaoui