En salle depuis le 17 janvier, Pauvres créatures a conquis la critique américaine. Il met en scène une Emma Stone et un Willem Dafoe au sommet de leur monstruosité, dans un présent sans passé ni futur, qui tient autant du Dr Frankenstein que du jeu vidéo BioShock Infinite.
C’est d’abord une femme désespérée, Bella (Emma Stone) qui se jette du haut d’un pont dans des eaux profondes et noires, ressuscitée par un docteur étrange, au visage balafré, nommé Godwin (Willem Dafoe). Son cabinet regorge de curiosités, des animaux hybrides, un cochon sur un corps de canard qui déambule dans les pièces d’un manoir au style victorien, et des corps humains disséqués, objets d’étude à faire pâlir le médecin nazi Joseph Mengele. Dans son manoir néoclassique, inspiré du musée Sir John Soane, Godwin fait des bulles qui éclaboussent au plafond pour stimuler ses glandes gastriques.
Mœurs débridées
Car dans ce monde dérangeant, onirique pourtant, tout est permis au nom de la science. Bella revient à la vie, mais avec quelques séquelles ; le cerveau d’un enfant lui a été greffé. Elle tourne en rond dans ce manoir, s’exprime avec un vocabulaire limité, des moitiés de mots qu’elle entend, et semble n’avoir aucun sens moral. La découverte de son corps lors d’une expérience hasardeuse de masturbation va lui changer la vie. Rien ne peut désormais l’arrêter dans sa quête d’aventure et de plaisir. Bella veut partir, loin. Sa rencontre avec un avocat aux mœurs débridées va lui ouvrir les portes d’un monde hostile, entre Lisbonne, Alexandrie et Paris, dont elle ressortira grandie. Aux contact de la monstruosité de la vie, des vices humains et des désenchantements, la créature Bella va se muer en femme libre et cultivée.
Bateaux volants
Le film qui alterne noir et blanc et couleurs chatoyantes, adapté du roman du même nom de l’auteur écossais Alasdair Gray sorti en 1991, est une véritable épopée steampunk rarement vue au cinéma. On y croise une galerie de personnages excentriques et décadents, dans un décor qui emprunte autant aux années 20, à l’architecture moderniste allemande Bauhaus, qu’à l’abondance de l’époque victorienne et à l’iconographie de la science-fiction des années 50. À un paquebot et des bâtiments brutalistes et froids succèdent des couleurs vives, des personnages gothiques (une mère maquerelle tatouée jusqu’au cou, un jeune dandy afro-américain désenchanté), un ciel plus bleu que bleu où circulent des bateaux volants et des montgolfières comme on en a vu dans BioShock Infinite, ce jeu vidéo d’aventure sortie en 2013.
Dracula et Belle époque
Les références du réalisateur grec Yórgos Lánthimos sont foisonnantes. Les intérieurs à l’opulence étouffante et ostentatoire rappellent le Dracula de Francis Ford Coppola, les illustrations Belle époque. Ce travail est le fruit d’une collaboration avec James Price (The Iron Claw, Paddington 2) et de la créatrice de mode Shona Heath. « Nous avons essayé d’imaginer que cette histoire se déroule dans le passé, mais avec une vision du futur », explique Heath au magazine spécialisé dans le design Frederic. Pour apporter cette précision maniériste, c’est un Lisbonne fantasmé tel qu’il apparaît à l’écran qui a été reconstitué aux studios Korda, en Hongrie, sur une structure en acier peinte et vieillie.
Ovationné à la Mostra de Venise, dont il est reparti avec le Lion d’Or, Pauvres Créatures a depuis fait l’unanimité de la critique, récompensé notamment du Golden Globe du meilleur film musical ou de comédie, et doit beaucoup à la performance d’Emma Stone (Prix de la meilleure actrice au Golden Globe et au BAFTA), qui subtilement se transforme, au fur et à mesure que le film s’installe et sans même qu’on y prête attention. La cérémonie des Oscars, qui se tiendra à Los Angeles le 11 mars prochain, devrait venir compléter la liste des récompenses.