« Les humains ne sont plus autant des êtres physiques qu’avant. » Bienvenue dans le monde virtu-réel de Cumgirl8

Cumgirl8. Credit photo : Charlie Knepper
Cumgirl8. Credit photo : Charlie Knepper

Chaotique comme du punk pré-internet, le groupe new-yorkais cumgirl8 sortait le 4 octobre leur premier album : The 8th Cumming. Un quartet animé d’un discours cyber-féministe, qui pense la physicalité surfaite et suggère que nous vivons déjà tous dans une simulation. Entretien algorithmique avec Lida Fox, Veronika Vilim et Chase Lombardo.

Au début du clip de votre chanson Karma Police, une voix robotique récite un texte rédigé en 1991 par le collectif cyber-féministe VNS Matrix : « nous sommes le virus du nouveau désordre mondial (…) le clitoris est un lien direct à la matrice. » Pourquoi ? 

Chase Lombardo : Parce ce que c’est très aligné avec notre pensée. La première fois que j’ai lu ça, j’ai crié ! Au début du World Wide Web, des femmes, comme ce collectif en Australie, se sont rendues compte qu’Internet était fait par des hommes, qu’il s’agissait d’un monde capable de connecter beaucoup de gens mais qui n’était le fruit que d’une seule voix. Et ça arrive encore aujourd’hui ! Beaucoup de programmes d’IA ont des préjugés de genre et des préjugés raciaux. L’un des principes de fondation du cyber-féminisme est d’obtenir un espace plus neutre au niveau du genre sur Internet et au sein de la technologie en général.

Lida Fox : Mais le cyber-féminisme évolue en permanence. Il y a eu un manifeste cyborg dans les années 80, puis le manifeste du xenoféminisme dans les années 2010. Ça grandit et prend forme autour de ce que nous vivons de nos jours.

Vous dîtes souvent avoir l’impression de vivre dans une simulation. Un morceau de l’album s’intitule Simulation. Comment expliqueriez-vous cette sensation ?

CL : Quand nous étions en tournée, nous sont arrivées beaucoup de coïncidences. Trop pour qu’on puisse les ignorer. Comme quand tu dis quelque chose et que ton téléphone se fait le miroir de cette chose-là. Mais dans la réalité.

Veronika Vilim : Comme quand tu parles de quelqu’un qui s’appelle Fantasia, que tu marches dans la rue et vois un magasin qui s’appelle Fantasia. Tu parles d’un truc et c’est là immédiatement.Quand on parle de simulation, on veut dire qu’on a du mal à discerner le réel du faux. Ce qui fait la réalité est flou.

LF : Nos téléphones sont devenus de telles extensions de nous que c’est dur de se souvenir si quelque chose nous est arrivé dans la vie ou sur Internet.

CL : Ça modifie tellement ton attention que ça affecte sûrement ta mémoire. Ça peut être une histoire de capacité de stockage.

LF : Et la simulation devient ce qui est super-réel, ou hyper-réel.

CL : La sensation est similaire à celle que tu ressens quand tu te demandes si ce dont tu parles est vraiment arrivé ou si c’était juste un rêve. Mais de façon plus saturée.

« Les humains ne sont plus autant des êtres physiques qu’avant. »

Sur Mercy, un vers a été enfoui sous les instrumentations : « Sexting with no encounter is the definition of the 21st century. » En quoi les sextos qu’on s’échange sans rencontrer l’autre définissent notre siècle ?

CL : Saviez-vous que les Gen Z ont moins de relations sexuelles que toutes les générations d’avant ? Plus personne ne baise ! C’est juste le téléphone. On a plus de dopamine en recevant des notifications et des dick pics que dans la vie réelle. Alors ils se disent : « pourquoi payer pour un rencard alors que je peux avoir autant de satisfaction dans mon lit et regarder Netflix ? »

VV : Beaucoup de gens entretiennent des relations à travers leurs téléphones. Souvent, ils sont plus ambitieux par message. J’ai l’impression que les gens n’ont pas peur, sur Internet. C’est ce qui permet le cyberharcèlement, mais aussi de dire à un crush que tu l’aimes bien… Les humains ne sont plus autant des êtres physiques qu’avant.

CL : On passe plus de temps dans le monde que nous avons créé dans nos mains. Pour beaucoup, cette réalité-là est plus importante. Quand est-ce que vous avez pour la dernière fois cuisiner, sans regarder de recette, puis manger votre repas sans rien faire d’autre ? Sans même un livre ? On n’arrive pas à être présents.

C’est une bonne chose, que les humains soient moins physiques ? La plupart des gens diraient que non. Certains pensent que l’image que l’on projette sur les réseaux sociaux est plus importante que l’image physique. Qu’est-ce qui est plus important, pour vous ?

CL : Qu’importe. Au début, les gens avaient peur des caméras. Les humains remanient constamment leur façon de fonctionner. C’est dans notre nature. Je ne pense pas que tu puisses juger ce qui est plus important, c’est simplement différent. Notre mission est d’aider les humains à naviguer dans la post-réalité, l’hyper-réalité de notre existence actuelle. D’avoir à vivre avec une technologie qui est un condensé de la conscience humaine. On veut les aider à trouver quelque chose de positif dans cette situation.

VV : Avec de l’amour, de la musique et le monde que nous créons.

CL : Oui, il faut embrasser tout ça. Pourquoi aurions-nous besoin de savoir ce qu’il se passe ?


« Ce n’est pas l’IA que tu détestes… mais le capitalisme ! »

Comment l’existence d’une technologie qui peut se voir comme un condensé de la conscience humaine impacte-t-elle l’humanité ?

CL : J’ai l’impression que cela répand une forme de contrôle dans les mains de plus de gens. En Amérique, on réalise enfin que la raison de notre puissance vient du mode nécro-capitaliste qui dicte nos interactions avec le reste du monde. Le contrôle est dans plus de mains car chacun peut être son propre medium. Chaque jour, je regarde une petite fille parler de sa vie en Palestine. Chacun peut être un transmetteur de vérité. Ce n’est plus seulement le Congrès, contrôlé par des conglomérats médiatiques. C’est nous tous. On remet les choses à niveau.

La plupart des artistes ignorent ou critiquent les IA. Vous préférez les incorporer à votre monde. Vous avez déclaré à Passion of the Weiss que c’est afin de célébrer le chaos du « nouveau désordre mondial. » Pourquoi ?

CL : Parce ce que ça ne va pas changer de sitôt. C’est intéressant d’observer ça, de communiquer avec et de voir où ça peut nous mener. 


VV : C’est en soit intéressant que l’IA génère autant de réactions violentes, aussi. Charlie Engman, un artiste que j’admire, vient de sortir un livre sur les images générées par IA et il en a pris plein la tête. On l’a accusé de profiter de l’IA. Mais les gens font des images sur des ordinateurs depuis longtemps… Les robots prennent des jobs depuis longtemps. L’IA n’est qu’un prolongement de ça. Les gens ont l’air de dire que l’IA vole des emplois. Ça veut dire que ce n’est pas l’IA que tu détestes… mais le capitalisme !