Il est le nouveau visage de la physique théorique. Ancien élève de Stephen Hawking, docteur à l’Université de Cambridge, Christophe Galfard est un auteur à succès de livres de science-fiction et de vulgarisation scientifique, dont le dernier en date, Voyage vers l’infini (Michel Lafon, 2023), est une odyssée à travers l’espace au travers des images du télescope James Webb. Il porte un regard très critique sur l’intelligence artificielle et la course effrénée à l’espace que se livrent les nouveaux gourous de la tech’.
Quel regard porte le physicien que vous êtes sur les nouvelles avancées technologiques, notamment en matière d’intelligence artificielle ?
Christophe Galfard : On a tellement de données cosmiques ou astronomiques que l’IA peut déjà nous aider à analyser des choses qui nous prennent un temps fou. C’est un outil très utile pour ça. Ensuite dans un futur plus ou moins proche, si on veut explorer des mondes lointains comme les lunes de saturne ou de Jupiter, on sait qu’on ne pourra pas y envoyer d’humains. Il y a plusieurs endroits, notamment souterrains, où le contact avec la terre est soit impossible soit tellement long qu’on est obligé d’imaginer une certaine autonomie pour la robotisation envoyée. Et l’intelligence artificielle peut tout à fait nous rendre accessible ces endroits.
La conscience humaine n’est-elle pas trop limitée face à l’expansion de l’univers et aux notions d’infini ?
Je n’adhère pas à cette idée (rire). Ce que notre cerveau est capable d’appréhender aujourd’hui, en taille, pas en abstraction, est incomparablement plus grand que ce que nos ancêtres étaient capables d’appréhender. Ne serait-ce que de savoir que notre univers fait telle ou telle taille, qu’il est peut-être infini. Ne serait-ce que l’idée mathématique qu’il puisse exister des infinis plus grands ou plus petits les uns que les autres, ou qu’il existe une infinité d’infinis, qu’on ait réussi à symboliser ça, à le formaliser, ça montre que notre cerveau est plutôt balèze.
Les capacités d’abstraction de notre cerveau sont bien plus colossales que ce qu’est notre univers lui-même. Notre univers n’est probablement pas aussi grand que ce que notre cerveau peut appréhender. Il y a une complexité de laquelle on s’approche petit à petit, d’un univers qui s’agrandit dans le très grand comme dans le très petit, de plus en plus extraordinaire, mais qui pour l’instant est à mesure de cerveau.
Mais l’IA va plus vite, elle n’est là que depuis un siècle, contrairement à nous qui avons des milliers d’années d’évolution.
On l’a quand même inventé, cette intelligence artificielle ! La question de la lenteur c’est une chose. Celle de dépasser nos sens pour voir des schémas dans la nature qu’on ne voyait pas avant, en est une autre. Et là-dessus, oui l’intelligence artificielle peut nous aider à voir des choses encore plus loin et plus rapidement. Cela accélère certains processus. Je ne peux pas projeter dans cinq millions d’années, mais aujourd’hui l’intelligence artificielle n’est absolument pas aussi puissante qu’un cerveau humain. Pas du tout. Elle arrive à faire des choses très précises, liées à des jeux, des codes, des tâches, mais il n’y a pas grand-chose qui soit au niveau du cerveau humain.
Quels sont les impacts concrets de l’IA sur les mathématiques et les nouvelles théories qui en découlent ?
Ce que je sais, c’est que l’IA est capable de retrouver dans des données, des lois, dont celle de Newton. On peut l’utiliser comme un outil. En astronomie notamment, ne serait-ce que quand on pointe nos télescopes dans l’espace vers des dizaines de milliers d’étoiles simultanément, afin de reconnaitre en temps réel une variation, pour ensuite se focaliser sur des endroits d’intérêt qui auraient été descellés par l’IA, ça j’y crois beaucoup. Mais une fois de plus, aujourd’hui cela ne remplace pas le chercheur théorique. Dans quelques années peut-être. Quand on parle de singularité technologique, il faudrait parler de découverte que seule l’IA aurait pu faire, et dans le domaine théorique, pour l’instant je n’en vois pas. Cela ne veut pas dire qu’il n’y en aura jamais.
Des investissements énormes sont faits dans la tech’ pour pousser plus loin l’exploration spatiale au profit du secteur privé. Est-ce que cela vous inquiète ?
Oui, je suis complètement contre, mais qui suis-je ? Aux États-Unis, l’État finance le privé, par le biais de la Nasa. Cela m’inquiète pour mille raisons, la liste est très longue. Le seul côté positif c’est que cela accélère potentiellement un accès à des données qui pourraient servir à la recherche. Voilà, ça s’arrête là. C’est l’Open source, etc… Même, si on va plus loin, la possibilité qu’on envoie un humain sur Mars, comme voudrait le faire SpaceX, ça serait super. L’humain y ferait en quelques jours ce que les robots font en plusieurs années. Ça, c’est justifiable d’un point de vue scientifique. Mais envoyer des touristes dans l’espace, c’est une aberration totale. D’un point de vue énergétique, environnemental, à tous les niveaux. Je trouve ça même fou qu’on puisse encore en discuter. Dès l’instant qu’il s’agit d’un tourisme spatial comme on a pu le voir avec Blue Origin, (ndlr, société fondée par Jeff Bezos) réservé aux plus fortunés, des milliardaires texans, etc… C’est la caricature d’une civilisation atroce. Là, il n’y a rien qui me fait rêver.
On projette aussi de faire du nucléaire sur la Lune.
Oui, en effet, une ressource sur la Lune pourrait permettre d’alimenter notamment des moteurs de fusées pour qu’elles décollent plus loin, mais depuis la Lune. Ce n’est pas forcément du nucléaire néfaste.
L’espace ne mériterait-il pas une législation plus poussée et de bénéficier d’un certain protectionnisme international ?
Ce sont des questionnements qui ont lieu en ce moment, et ce sont toujours les puissants qui l’emportent dans ces cas-là. Et c’est pour cela que, malgré le fait que je n’aime pas trop cette course effrénée à l’espace, je suis tout à fait pour que l’Europe se saisisse de ces questions, pour avoir son mot à dire sur une législation spatiale. Si on n’en fait pas partie, les législations se feront sans nous. Et nous, individus européens, on n’aura que nos yeux pour pleurer s’il y a une forme de mainmise sur les ressources spatiales. J’espère, dans un monde peut-être un peu utopique, une vision européenne légèrement plus avertie. Mais ce n’est pas le cas actuellement.
Le Général Friedling, fondateur de la start-up Look Up Space et ancien commandant de l’espace au sein de l’armée française, que nous avons interviewé récemment, défend beaucoup cette idée de souveraineté européenne dans l’espace. Mais il le fait aussi au profit de sa start-up. Cela peut-il poser problème, selon vous ?
Oui, mais le secteur privé, s’il est européen, peut participer, comme c’est fait aux États-Unis, au développement d’un secteur spatial européen. Ce n’est pas très grave. Ce que je trouve alarmant, c’est qu’il n’y ait pas de parapluie européen ou national. Il me semble que cela devrait être chapeauté par des gouvernements.
Vous sentez dans la communauté scientifique une envie de faire bouger les lignes sur ces sujets ?
La communauté scientifique sur la physique théorique s’intéresse aux satellites de détection ou d’observation, ce ne sont pas du tout les mêmes cercles. Je suis tout de même consulté de temps en temps, mais sur des sujets de prospection, pour essayer de rendre les choses un peu humaines.
Quel regard porte le physicien que vous êtes sur les nouvelles croyances qui émergent de la Silicon Valley où l’on parle de technomessianisme, d’un dieu de l’intelligence artificielle ?
Ce sont des croyances, chacun se nourrit de ce qu’il veut. Ma physique permet-elle de valider une croyance ? Non, pas du tout. Qu’est ce qui fait en sorte que les têtes pensantes de la Silicon Valley trouvent des choses ? J’imagine que cela leur donne de l’énergie pour croire en ce qu’ils font. J’ai sorti un livre à Noël sur des images du télescope James Webb. Les découvertes qui sont faites grâce à ce genre de technologie sont tellement spectaculaires et accessibles au grand public, et unificatrice pour l’humanité ! Il y a quelque chose de splendide dans l’exploration spatiale et on le doit aux avancées technologiques. Ce que je veux dire, c’est qu’on fait souvent l’apologie de gens comme Elon Musk, mais pour fabriquer des télescopes comme le James Webb, ce sont des gens qui ont des parcours bien moins exposés que lui, mais qui sont des sacrés génies.
La science et la religion, contrairement aux idées reçues, ont toujours été étroitement liées. On peut être croyant, tout en ayant une connaissance pointue des mécanismes de l’univers et de la création. Comment l’expliquez-vous ?
L’important, c’est de mettre les mystères là où ils se trouvent. Dès l’instant où on le fait, il n’y a plus de contradiction. Les deux sont des disciplines humaines, et tout le monde peut dire des idioties, des splendeurs, ou être poète, dictateur… On pense souvent que les scientifiques sont des gens ultra rationnels. Ce n’est pas le cas, ce sont des humains comme les autres.
Quelles sont les dernières découvertes qui vous intriguent ou vous interrogent le plus ?
On entre dans une phase où l’existence d’une vie extraterrestre devient possible. Cela ne veut pas dire qu’on va la rencontrer demain, mais on n’a jamais eu autant d’outils pour y parvenir. Et on en aura encore plus demain. Ça, je trouve que c’est très excitant.
Plus on a de moyens pour le faire, plus on en mesure la difficulté, et plus cette découverte semble s’éloigner de nous.
Je ne suis pas du tout d’accord ! Cela se rapproche. Ne serait-ce qu’avec des découvertes moléculaires de James Webb ou d’autres télescopes, on réalise que des composants nécessaires à la vie sur Terre existent en quantité notable partout dans l’espace.
De là à créer cet agencement propre à la vie humaine, il y a une marge non ?
Il semblerait (rire).
Christophe Galfard donne des conférences le samedi 23 et dimanche 24 mars, à 11h du matin, au MK2 Odéon (côté Saint-Germain), sur les forces fondamentales de la nature.
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