Ce 15 novembre, sort la saison 2 de Silo, série dystopique d’AppleTV+ sur une société humaine enfoncée, sous terre, dans un silo de 144 étages. En avril, paraissait la première saison de Fallout, dont l’héroïne est née dans une voute souterraine. L’humanité ressent-elle un besoin de vivre à l’abris ? Tentatives de réponses.
Une colossale structure de béton, d’un gris qui fait sale comme celui d’un pont autoroutier dans une banlieue négligée, apparaît à l’écran. « Nous ne savons pas pourquoi nous sommes là, déclame le sheriff Hoston Becker. Nous ne savons pas qui a construit le silo. » Par dessus les rambardes de chaque étage, on voit que la structure, éclairée de lampes blafardes, est d’une vertigineuse profondeur. Alors que Becker marche vers la cafétéria, on distingue une image postapocalyptique de l’extérieur : un arbre décharné sur une colline morne. « Nous ne savons pas quand nous pourrons aller dehors. Nous savons seulement que ce jour n’est pas aujourd’hui. »
Dans Silo, les couleurs sont ternes, les traits fatigués, les sourires généralement comme ceux que l’on force à un enterrement. Soit tout l’inverse de ce qui fait la personnalité de Lucy McLean : sa joie de vivre, ses lèvres roses, sa combinaison du même bleu que celui de ses grands yeux. La protagoniste centrale de Fallout s’introduit elle-même comme quelqu’un qui contribue activement au bien-être de sa communauté. Elle fait partie du club de gym, fait des roues sur du gazon synthétique et aime regarder des films avec son père sur un canapé de velours couleur moutarde. Le monde de Lucy McLean est bien différent de celui d’Hoston Blecker, mais elle aussi vit sous terre, dans une « voute » du nom d’Abri 33. Professeur de littérature à l’American University, David L. Pike est notamment l’auteur d’un ouvrage intitulé After the end : Cold War culture and apocalyptic imaginations in the twenty-first century. Quand on lui demande pourquoi ces deux séries ont éclos au même moment de l’histoire humaine, il répond ceci : « Pour beaucoup d’entre nous, il est très difficile d’imaginer et encore moins de visualiser la lente apocalypse du changement climatique. Rares sont les traditions et narrations occidentales mainstreams que l’on peut utiliser dans cet objectif. »
Les seules bases sur lesquelles s’appuyer seraient celles imaginées pendant la guerre froide. Selon l’universitaire, une des influences clés de Silo s’appelle The Penultimate Truth. Paru en 1964, deux ans après la crise des missiles de Cuba, il s’agit d’un roman de Philip K. Dick dans lequel un grand pan de l’humanité vit dans de super-abris connus sous le nom de « fourmilières » sans savoir, qu’à la surface, la guerre est finie depuis longtemps.
Sous nos pieds, il y a l’enfer
Le livre de l’auteur de The Man in the High Castle peut être classé dans un genre littéraire ancien : les fictions souterraines. Un genre dont l’existence même soulève des questionnements auxquels Luke Bennett, auteur de The bunker’s after-life: cultural production in the ruins of the Cold War, répond de manière succincte : « Au fur et à mesure que la technologie et des choses comme l’extraction du charbon se sont développées au XIXème siècle, notre société a commencé à prendre conscience du sous-sol, au niveau économique et culturel. On y a alors projeté des fantasmes coloniaux. La surface avait été conquise et départagée. Où pouvait-on aller ensuite ? Dans l’espace ou au centre de la terre. » Sortent alors des oeuvres telles Voyage au centre de la Terre de Jules Vernes, en 1864 ou, un demi-siècle plus tard, Au cœur de la Terre d’Edgar Rice Burroughs. Industrialisé, le sous-sol est ensuite militarisé.
Des abris antiaériens sont creusés dès les années 30 avant que la guerre froide ne donne naissance aux abris antiatomiques. En Anglais, on les appelle les fallout shelters. « On attache ainsi aux sous-sols des images de pouvoir, de course à l’armement souterraine qui viennent s’agglutiner aux mythologies classiques, à la notion d’un monde souterrain antithèse du ciel. » Bennett dégaine une formule : enfers + technologie + menace nucléaire = une image, pour les espaces souterrains, de quintessence de la noirceur. « Les psychologues de la mort comme Freud parle aussi de l’inconscient en utilisant des métaphores souterraines, ajoute-t-il. Cela finit de faire du sous-sol un monde mystérieux que l’on ne comprend pas bien. On veut s’en rapprocher. On sait que ça va être bizarre. Et qu’on n’y aura pas totalement le contrôle. »
Le fantasme du bunker
À l’aube du XXIème siècle, Luke Bennett n’était pas encore universitaire. Son travail consistait à trouver une nouvelle raison d’être à des complexes militaires britanniques construits pendant la guerre froide. « Dans ce cadre, j’ai rencontré des gens qui localisaient, analysaient et décrivaient ces vestiges de la guerre froide, notamment les bunkers souterrains, raconte-t-il. Pareillement, le style visuel de Fallout renvoie à une imagerie des 1950s, à la première vague d’anxiétés nucléaires. Les générations qui n’ont pas connu cette époque peuvent jouer avec cette imagerie parce qu’elle a été empaquetée, rendue culturellement accessible et fait partie des ressources sur lesquelles sont érigées nos formes de divertissements. » Les abris futuristes de Fallout et Silo s’inspirent de visions du passé qui, parce que passées, peuvent être rassurantes, « sûres, familières, dit David Pike. On rencontre dans Silo des marchés à l’ancienne, des habits faits mains, des atmosphères de petites villes où tout le monde se connaît. » Ces communautés dystopiques peuvent paraître plus chaleureuses et soudées qu’un centre-ville qui se meurt ou qu’une zone industrielle où l’on descend d’ennuyeuses bières artisanales. Puis le sous-sol est sûr. On peut y laver les cheveux de son fils, lui apprendre le mot « shampoing », mettre un blazer et boire du bourbon alors que des cannibales rodent à la surface.
Le fantasme du bunker
Si des internautes cherchent à savoir si des abris « comme dans Fallout » existent réellement c’est, pour Pike, du fait de ce qu’il a nommé le « fantasme du bunker » apparu en même temps que l’arme nucléaire et cette nouvelle capacité humaine à rendre la surface de la terre invivable. « Le fantasme répond à la dégradation réelle du monde à la surface, développe-t-il. À cause des bombes, des radiations, de la surpopulation, des dégradations climatiques. On imagine donc un espace où se retirer, où les règles sont différentes et où l’on peut avoir une forme de contrôle, même s’il s’agit d’un espace réduit. »
Né dans la fiction, le fantasme devient même réalité pour les quelques milliardaires qui creusent des bunkers de luxe en Nouvelle-Zélande ou des garages, piscines et cinémas sous des manoirs londoniens. « C’est un fantasme particulièrement masculin de vouloir se retirer dans un abri où l’on peut être soit même, finit Bennett. Dans une scène de Lost, un personnage danse, joue un vinyle et se fait un petit déjeuner dans une salle très années 60. On comprend, ensuite, qu’il est dans un bunker souterrain, seul, depuis longtemps. Que, chaque demi-heure, il doit entrer une combinaison dans un ordinateur afin que le monde n’explose pas. Mais au début, on ne voit qu’un homme ravi de pouvoir faire ce qu’il veut, sans avoir à se soucier des complexités d’un monde plus vaste. »