Le Royaume-Uni dit adieu au charbon. Et après ?

La mythique centrale Battersea Power Station, immortalisée par les Pink Floyd sur la pochette de Animals (1977). Montage Telescope.
La mythique centrale Battersea Power Station, immortalisée par les Pink Floyd sur la pochette de Animals (1977). Montage Telescope.

Le 30 septembre, la centrale électrique à charbon de Ratcliffe-on-Soar, au cœur de l’Angleterre, mettait la clé sous la porte. Le pays de Billy Elliott devenait ainsi le premier pays dit « développé » à abandonner cette source d’énergie responsable de 44,4 % des émissions de CO2 dues à l’énergie en 2021. Si l’information a fait le tour du monde, rares sont les media à avoir explorer les perspectives d’avenir énergétiques de la région. Qui sont, selon certains, peu réjouissantes.

Au bord de l’autoroute M1, les colossales cheminées de la centrale électrique à charbon de Ratcliffe-on-Soar sont depuis 56 ans un repère pour les habitants de ce coin du Nottinghamshire. « Mais le monde évolue, sourit Roger Upton, élu du Rushcliffe Borough Council, l’autorité locale qui gouverne la zone. Le site est emblématique, mais le fait que la dernière centrale à charbon du pays ferme l’est tout autant. C’est un moment historique. Et, pour nous, une époque excitante. »

Cet avis, politiciens locaux et media du monde entier l’ont largement partagé. Le ministre de l’énergie Michael Shanks parlait ainsi de « la fin d’une époque » ajoutant que les « travailleurs du charbon » avaient le droit d’être fiers de leur labeur, qui répondit longtemps à la demande énergétique d’un pays qui leur doit toute sa gratitude. En France comme aux États-Unis, des media comme Reporterre et le New York Times ont salué la décision du Royaume-Uni de tourner « la page du charbon » pour « toujours. » 

Un bémol de (très grosse) taille

Sous son crâne chauve, Roger Upton a l’air ravi. Ce membre du parti conservateur avoue ne pas être certain de ce qui remplacera dans sa région l’ancienne centrale à charbon mais assure espérer « avoir de l’énergie verte. C’est véritablement notre souhait. On aimerait qu’un entrepreneur, ou une organisation, nationale ou internationale, s’avance, plutôt tôt que tard, et crée de l’énergie verte. L’hydrogène, pourrait être une bonne solution ? On en parle beaucoup, ces temps-ci. Mais je ne suis pas un expert. » Candidat malheureux au poste de maire des Midlands de l’Est en 2024, Frank Adlington-Stringer, du Green Party, a fait campagne dans la région il y a seulement quelques mois. Entre ses longs cheveux, lui aussi voit « quelque chose de positif » dans le fait que son pays soit le premier membre du G7 à « mettre fin à l’utilisation du charbon en vue d’en faire de l’électricité. »

Mais, contrairement à la presse internationale, au gouvernement britannique et aux élus locaux, il apporte dès sa troisième phrase un bémol de taille. « Ce qui se passe, en réalité, est que nous avons fermé la centrale à charbon pour construire un incinérateur de déchets à 330 milliards de livres qui représente désormais la nouvelle forme de production d’énergie la plus sale du Royaume-Uni, croit-il savoir. Génial, n’est-ce pas ? » Coup de théâtre ! Lors d’un entretien, certes assez bref, survenu le 4 octobre, Roger Upton n’a jamais parlé de ce projet, suggérant seulement qu’il existe autour du site des « sensibilités commerciales » et que la localité « travaille très bien avec Uniper», multinationale européenne du secteur énergétiqueet propriétaire du la centrale.

En juin 2021, pourtant, la BBC annonçait que les autorités locales avaient donné leur feu vert à la construction d’un incinérateur connu sous le nom d’EMERGE (East Midlands Energy Re-Generation) Centre qui brûlerait près de 500 000 tonnes de déchets par an et générait assez d’énergie pour 90 000 foyers. À l’époque, le projet fit grand bruit. Des manifestations furent organisées par des groupes écologistes, dont une branche locale d’Extinction Rebellion. Un des opposants au projet raillait alors la décision de l’autorité locale, qui annonçait vouloir atteindre la neutralité carbone tout en décidant d’ériger une centrale émettrice de carbone. « Cela n’a aucun sens. » Selon un autre article de la BBC, une centrale à charbon produisait, en 2023, une moyenne de 730 gCO2e/kWh. Un incinérateur de déchets, 720 gCO2e/kWh. « C’est donc à peine moins sale », résume Adlington-Stringer. 

Une transition trop lente 

Joint par e-mail, Uniper offre un nouveau rebondissement. L’incinérateur devait être réalisé en collaboration avec Fortum, groupe énergétique détenu à plus de 50% par l’État finlandais, qui s’est finalement retiré du projet. La multinationale annonce donc être à la recherche « d’options alternatives. » C’est à dire ? Uniper cherche-t-elle de nouveaux partenaires afin de développer l’incinérateur ou songe-t-elle à enclencher un projet totalement différent ? « Malheureusement, nous ne pouvons pas fournir d’autres commentaires pour le moment », répond un(e) attaché(e) de presse sans nom.

À cela, Adlington-Stringer répond par un hochement d’épaules, l’air de dire que les choses ne sentent pas très bon pour l’avenir de l’air des Midlands. « Je n’ai pas de solution pour se débarrasser d’absolument tous les déchets, confesse-t-il. Mais, vu que nous avons ce site de Ratcliffe-on-Soar, pourquoi ne pas en faire un centre de recherche sur la neutralité carbone ? Qui aurait un lien avec les universités environnantes ? Dans lequel on inviterait afin d’avoir les meilleurs cerveaux possibles qui chercheraient des solutions ? On pourrait même garder les cheminées. Et créer un parc ré-ensauvagé où la biodiversité pourrait s’épanouir. » Ce serait une meilleure histoire. Mais il n’a pas l’air d’y croire.