Du 23 avril au 27 octobre 2024, l’Institut du monde arabe met à l’honneur l’exposition Arabofuturs, une plongée dans l’univers onirique d’une nouvelle génération d’artistes qui prend la science-fiction à revers de ses représentations éculées.
Si le cinéma arabe n’est pas réputé pour ses œuvres de science-fiction – qui existe pourtant, El Sabae Affandy d’Ahmed Khorshid (1951) ou encore La conquête du temps (1987) du réalisateur égyptien Kamal el Sheikh ne pour ne citer qu’eux – mais davantage pour son réalisme social, l’exposition Arabofuturs, présentée à l’Institut du monde arabe du 23 avril au 27 octobre 2024, prouve qu’il existe désormais un vivier de jeunes artistes prolifiques dans bien d’autres disciplines. Œuvres conceptuelles, picturales, graphiques ou filmiques… Cette nouvelle génération s’approprie les codes du genre et bouleverse tout ce que la vision occidentale a de préconçu dès lors qu’il s’agit d’imaginer le futur du monde arabe.
Spéculations capitalistiques
La faute aux projets plus dantesques les uns que les autres proposés par les pétromonarchies du golfe Persique, dont The Line, ville futuriste en plein désert imaginée par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane, ou le complexe sphérique des Émirats arabes unis à 5 milliards de dollars. L’enjeu étant de placer ses capitaux à bon escient avant la fin programmée de l’ère pétrolière dans un futur qui s’approche à grand pas : la transition écologique tend à reléguer l’économie pétrolière au second rang, déjà menacée par l’épuisement des nappes d’hydrocarbure. Au rythme actuel, le pétrole viendrait à manquer d’ici une cinquantaine d’années. L’agence internationale de l’énergie (AIE) prévoit d’ailleurs dès 2028 une régression de la demande en Arabie Saoudite.
Voilà pour le contexte. Mais les projections futuristes du monde arabe se limitent-elles aux spéculations capitalistiques de ses rois du pétrole ? Certainement pas. Car outre ses représentations archaïques, le monde arabe a toujours largement influencé la science-fiction et la littérature d’anticipation. Son exemple le plus probant étant l’interprétation qu’en fait Frank Herbert dans son œuvre Dune (adapté au cinéma et tourné majoritairement en Jordanie), où les Fremen, sorte de bédouins du désert cultivateur d’une épice mystique que l’univers entier s’arrache – cela ne vous rappelle rien ? – attendent l’arrivée du mahdi, mot d’origine musulmane pour désigner le messie.
Far, far away
La saga Star Wars aussi, même si son réalisateur Georges Lucas a délaissé la dimensions mystique au profit d’une inspiration purement esthétique des Tuskens – ersatz bédouins, encore – vivant sur la planète Tatooine, version futuriste de la ville de Tataouine en Tunisie. L’œuvre cultissime acclamée par des générations de fan ne délivre encore qu’une vision très occidentale d’un monde arabe primitif, qui, bien que séculaire, resterait, même dans une galaxie far, far away, qu’un peuple en turban se défendant tant bien que mal du colon blanc.
Bien loin de ses considérations, l’exposition Arabofuturs part du futur programmé, celui le plus plausible et que nous touchons déjà du bout des doigts, s’offre un détour par la science-fiction et termine son voyage dans des œuvres oniriques, totalement irréelles. L’intelligence artificielle, la tech’ et les réseaux sociaux n’y tiennent qu’une petite place, ne servant qu’à mettre en perspective le développement rapide des pays du golfe et leurs paradoxes sociétaux dans les créations de Sophia Al-Maria et Fatima Al Qadiri. Intitulée Gulf futurism, cette séquence de l’exposition met en lumière un futur qui serait peut-être déjà là, dans cette région du monde ou les mœurs ancestraux viennent percuter les nouvelles technologies, ou les centres commerciaux labyrinthiques, vides, se transforment en tombeau pour les visiteurs. Les néons clignotants des halls dérangent un confort clinquant, où tout apparait factice, suranné.
Zetla Zone
Youssef Oubahou alias Skyseeef s’en prend lui aux voitures volantes, devenues l’un des symboles les plus forts de la science-fiction. Mais contrairement à ce qui est habituellement donné à voir, lui propose de ré-imaginer ces engins de l’identité marocaine, vieilles Mercedes violettes, camions déglingués d’où s’échappent des bâches branlantes, en lévitation sur un sol désertique, dans un décor réaliste et épuré. Plus loin, l’artiste Sara Sadik propose sa NoGoZoneXperience, interprétation futuriste de ces zones de « non-droits » des cités ou le deal tient une place prépondérante. Et si ces endroits, appelés Zetla Zone, devenait un territoire interdit à tout étranger ? En tournant en dérision les clichés qui collent à la peau des quartiers délaissés, on se laisse prendre à une tournure inédite de l’Histoire.
Porte spatio-temporelle
L’exposition met aussi en lumière le travail de Mounir Ayache, artiste franco-marocain qui propose un jeux vidéo où l’on suit le voyage imaginaire d’Hassan al-Wassan, plus connu sous le nom de Léon l’Africain, personnage historique mais dont l’artiste attribue un fait uchronique : la découverte d’une porte spatio-temporelle dans les tunnels du Pincio, près de la Villa Médicis, le téléportant au XXVIème siècle. C’est d’ailleurs entre les murs de la célèbre institution que Mounir Ayache a travaillé à l’élaboration de son projet lorsqu’il était pensionnaire. Autre proposition marquante qui vient clôturer l’exposition, les 1000 pièces en cuir de Zahrah Al Ghamdi, des formes organiques coupées, cousues et brûlées et qui semblent être une expansion végétale. Appelée Mycelium, ces formes variées grimpent sur les murs comme si se répandaient des champignons jusqu’à la sortie de l’exposition.
Au total, une vingtaine d’artistes ont été invités à l’Institut du monde arabe. À eux tous, ils chamboulent la manière dont nous percevons le monde arabe de demain. Nul doute que dans un futur proche, le cinéma saura s’inspirer de ces imaginaires. Dans un article publié par la BBC en 2013, l’écrivaine Lydia Green rappelait que le premier ouvrage de science-fiction répertorié au monde est l’œuvre d’un perse, Zakariya al Qazwini, Les merveilles des Créatures. Il y mettait en scène, au XIIIème siècle, un extraterrestre descendant sur terre pour observer les humains… un brin moqueur.
Tarifs : plein 10 €, réduit 8 €, ) 26 ans 6 €
Billet couplé Arabofuturs + Expo Dinet + Musée : Plein tarif 17 €, 18-26 ans 10 €