À Arès, un ovniport attend son premier ovni depuis 1976

Crédit : Illustration d'Iris Hatzfeld pour Telescope Magazine
Crédit : Illustration d'Iris Hatzfeld pour Telescope Magazine

En 1976, la petite station balnéaire d’Arès, sur le bassin d’Arcachon, inaugurait le premier ovniport de France, piste d’atterrissage réservée aux potentiels futurs ovnis. Un running gag qui dure depuis 46 ans, et exaspère la majorité des ufologues français.

L’ufologue septuagénaire ne cache pas son agacement. « Qui vous a donné mon numéro ? Je vous interdis formellement de citer mon nom dans votre journal ! » Il marque une pause, souffle, puis reprend. « J’arpente la zone depuis des années et je suis l’un des seuls en Europe à observer l’activité sur place. La Fédération française d’ufologie ne vous a pas répondu et elle ne le fera pas. Pour eux, ce lieu est une farce, un site touristique comme la tour Eiffel. Je ne devrais pas le dire, parce qu’en France c’est l’omerta sur ces sujets, mais je sais qu’il a déjà été visité. »

Ce jour-là, sur la commune d’Arès, limitrophe de la plus célèbre Lège-Cap-Ferret, des badauds promènent leurs chiens en contemplant les bateaux au mouillage. Le décor est typique du bassin d’Arcachon. À un détail près : une soucoupe volante métallique trône sur une petite parcelle de pelouse au bord de l’eau, à quelques pas d’une aire de jeux pour les enfants. Depuis plus de 40 ans, ce bout de terrain est considéré comme une piste d’atterrissage officielle pour les ovnis. Des familles s’arrêtent pour prendre leur progéniture en photo à bord de l’engin. Quelques passants penchent la tête en fronçant les sourcils pour déchiffrer l’inscription dorée, sur une plaque de granit d’une dizaine de centimètres de diamètre.

Alain Juppé, maire de la ville, observe la soucoupe avec dédain : « Qu’est-ce que c’est que ce machin ? »

On peut y lire : « Le 15 août 1976, ce site a été réservé par décision de Monsieur le Maire Christian Raymond approuvée par le Conseil Municipal pour accueillir sur notre planète les Voyageurs de l’Univers. QUE VOS ATENDEM TOTJORN[1]. Bob COTTEN et un honorable groupe d’Arésiens sont à l’origine de cette initiative connue du monde entier ».

Christian Esplandiu était aux premières loges lorsque ce projet loufoque est né. Cet ancien adjoint au maire en charge du tourisme et de l’économie a présidé l’office de tourisme d’Arès pendant des années. Il s’en amuse encore : « Un beau jour, en conseil municipal, alors que le maire cherchait des idées pour attirer plus de touristes, Monsieur Cotten, un ufologue convaincu et passionné qui travaillait dans l’aviation civile à Mérignac, a suggéré la construction d’un ovniport », raconte l’ancien élu.

Contre toute attente, l’édile à l’humour potache adopte l’idée. « Le maire était quelqu’un d’important, il avait des appuis partout, précise Christian Esplandiu. Il a réussi à faire venir des gens aussi importants que le préfet et le sous-préfet pour l’inauguration qui a eu lieu le jour de la fête de l’huître. Les personnalités locales et tous les maires des alentours étaient également présents. Même l’armée de l’air est venue jouer pour l’occasion ! Mais le colonel s’est fait rappeler à l’ordre par Paris après l’événement », se souvient l’Arésien.

Départ vers Mars

Dans son édition datée du 17 août 1976, le quotidien local Sud Ouest dresse la liste des officiels aperçus sur place ce fameux dimanche : un parterre d’élus régionaux ainsi qu’ « une délégation de l’armée de l’air, de la gendarmerie, des pompiers et des douanes ». Tout le gratin du coin, en somme. Après l’événement, le maire est assailli de missives et de cartes : des candidatures bénévoles, notamment celle d’un dénommé Manuel Prieto, offrant ses services pour « tenir le registre d’entrées et de sorties des ovnis », des avis défavorables, des remerciements et des encouragements. « Une dame m’a même écrit pour me demander quand aurait lieu le départ vers Mars, en m’expliquant qu’elle voulait partir car elle venait de divorcer et qu’elle était trop malheureuse sur Terre, se souvient Esplandiu. On lui a répondu gentiment que ça n’était pas pour tout de suite. »

Quelques courriers étaient directement adressés à Robert (« Bob ») Cotten, comme celui d’un certain Louis Lacoste se présentant comme « ufologue amateur » spécialiste en « enquêtes-observations-détections ». Des journalistes du monde entier affluent dans la commune qui ne compte alors qu’un peu plus d’un millier d’habitants (pour près de 6 500 aujourd’hui). Les équipes de tournage installent leur matériel sur le lopin de terre vide et interrogent les habitants pour savoir s’ils ont vu des Martiens. Il ne se passe pas une année sans qu’un journaliste américain, africain, chinois ou  japonais ne fasse le déplacement. « Ils venaient, ils dégustaient quelques huîtres après leur reportage et ils étaient contents », ajoute Esplandiu.Mais pour le président de l’office de tourisme, il manque encore un élément essentiel pour accroitre l’attractivité de cet espace ovni friendly. « Je voulais qu’on fasse atterrir une soucoupe volante », rejoue-t-il.

Fanfare et soucoupe volante

Avec un collègue, il se met en quête d’un fabricant. Le duo découvre qu’un artiste résidant dans un château dans la région de l’Entre-Deux-Mers, à l’est de Bordeaux, a justement réalisé une œuvre représentant une soucoupe volante par le passé. Une copie lui est commandée dans la foulée. La fine équipe qui entoure Christian Raymond ne recule devant rien : elle obtient une place pour l’appareil factice lors de la grande exposition organisée en 2010 sur l’esplanade des Quinconces, à Bordeaux, à l’occasion du centenaire de l’aviation civile.

Mais la plaisanterie n’a pas pris sur tout le monde. Alain Juppé, maire de la ville, observe la soucoupe avec dédain et s’exclame : « Qu’est-ce que c’est que ce machin ? » Quelques jours plus tard, la soucoupe est dévoilée aux habitants d’Arès sous un grand ciel bleu lors d’une journée festive ambiancée par une fanfare. Tandis que des fumées rouges et vertes s’échappent du véhicule, deux individus déguisés en extra-terrestres en sortent. Les locaux se souviennent d’une initiation à la cuisine moléculaire, d’un spectacle laser et d’une projection du film La Soupe aux choux à la tombée de la nuit.

Un chantier à 10 000 euros

Pas encore au point pour les trajets dans l’espace intersidéral, la soucoupe résiste mal à l’air salin et se détériore rapidement. Retirée de l’ovniport il y a quelques années, elle se trouve aujourd’hui dans les locaux de l’entreprise Sud-Ouest Remorques, « sur la route entre Bordeaux et Arès, un peu avant Saint-Jean-d’Illac, détaille Christian Esplandiu. Elle est en lambeaux, on la voit depuis la route. » Son stockage à cet endroit n’a rien d’un hasard. Claude Richard, dit « Claudius », l’ancien propriétaire de cette société girondine spécialisée dans la fabrication de remorques, a été bénévole à l’office de tourisme d’Arès. « Jean-Guy Perrière, le maire qui a succédé à Christian Raymond, m’avait demandé de construire une nouvelle soucoupe », relate le chef d’entreprise à la retraite. 

400 heures furent nécessaires pour réaliser l’objet en acier galvanisé recouvert d’une peinture adaptée aux intempéries et à l’air marin. « Elle ne bouge pas, se félicite Claude Richard. Quelqu’un a essayé de mettre le feu au cockpit depuis qu’elle est sur la jetée mais comme il est fait d’un matériau utilisé pour la construction des avions à réaction, ça n’a pas marché. Il y a juste eu un petit trou d’environ 30 millimètres de diamètre. Je suis fier de ma soucoupe ! » Le chantier aurait coûté 10 000 euros à la commune. Quelques contribuables ont vu rouge à l’annonce de cette dépense publique, certains allant même jusqu’à soupçonner un petit arrangement entre les membres du conseil municipal et l’entrepreneur.

La Soupe aux Choux

Pour Matt Malpass, un Londonien ayant élu domicile sur le bassin d’Arcachon, cette soucoupe a été une formidable source d’inspiration. Ce peintre en bâtiment de profession est l’auteur d’une trilogie relatant les aventures d’Ublo, un extraterrestre de 20 cm de haut qui tombe en panne sur le bassin d’Arcachon, un peu comme Saint-Exupéry dans le désert du Sahara. Inévitablement, le héros tombe sur la soucoupe d’Arès. « Quiconque s’intéresse à l’astrodynamique sait que ce véhicule possède un décodeur télékinétique embarqué », pérore le petit être face à deux personnages incarnant des enfants du pays. « C’était le premier modèle intergalactique permettant au pilote de faire voler son vaisseau par la pensée », lui fait encore dire l’auteur. Et puis : « Ce que vous avez là sur la plage d’Arès est un modèle unique ! Et je dois l’avouer, c’est une très belle copie ! Avez-vous eu d’autres visiteurs de l’espace ? »

C’est évidemment la question que beaucoup se posent. Si la plupart des ufologues hurlent au scandale et à la moquerie, ou se contentent de nier l’existence de l’ovniport depuis des décennies, la jeune génération et quelques amateurs venus du bout du monde s’interrogent sur la fréquentation des lieux par des Aliens. À l’office de tourisme, on a coutume de leur répondre qu’ils s’y promènent plutôt la nuit pour ne pas être aperçus. « C’est une belle plaisanterie et je voudrais que ça continue longtemps », tranche Christian Esplandiu. Au mois de mai, les services de renseignement américains ont annoncé devant le Congrès qu’ils avaient recensé plus de 400 phénomènes aériens de type ovni, mais pas un mot sur une visite à l’ovniport d’Arès. L’ufologue à la retraite en est pourtant absolument convaincu.

Par Hélène Brunet-Rivaillon


[1] Que nous attendons toujours, en gascon