Depuis l’accident tragique du Hindenburg en 1937, le voyage en dirigeable semble appartenir au passé. Mais pour concurrencer le monopole de l’avion à réaction, de nombreuses entreprises tentent depuis trente ans de relancer le rêve chimérique de ces aérostats et de proposer un moyen de transport aérien plus écologique. Malgré les innombrables échecs, l’optimisme perdure.
151 mètres de long, 4800m², et une vitesse de 83 km/h à 6 000 mètres d’altitude. Voici les propriétés physiques du Solar Airship One, le dernier projet fou en date qui souhaite donner une millième seconde chance au dirigeable. Intégralement alimenté par des panneaux solaires, l’aérostat doit pouvoir parcourir les 40 000 km de l’équateur en 20 jours sans jamais s’arrêter. Conçu par l’entreprise Euro Airship basée à Pau dans les Pyrénées-Atlantiques, ce nouveau dirigeable espère faire son premier tour du monde en 2026. Et bouleverser notre façon de voyager en revenant aux découvertes des frères Montgolfier au XVIIIe siècle, bien avant l’invention de l’avion à réaction.
De Louis XVI à von Zeppelin
Un peu plus d’un siècle après le vol de la première montgolfière sous les yeux ébahis de Louis XVI à Versailles, un ingénieur militaire allemand du nom de Ferdinand von Zeppelin révolutionne le monde balbutiant du transport aérien. Inspiré par les ballons à air chaud utilisés par l’armée prussienne lors du siège de Paris en 1870, Zeppelin brevète en 1888 un concept de ballon dirigeable monté sur une structure rigide et alimenté à l’hydrogène. Après des années de tests, l’ingénieur fonde sa compagnie aérienne de transport en dirigeable qui transporte plus de 34 000 passagers entre 1909 et 1935. Encore limité dans ses capacités de transport longue distance, les aérostats de Zeppelin vont d’abord servir à bombarder Paris et Londres lors de la Première Guerre mondiale. Mais avec la défaite de l’Allemagne et la signature du traité de Versailles, les ballons sont confisqués par la France et le Royaume-Uni.
Avec la mort de Ferdinand en 1917, l’histoire des dirigeables semble s’arrêter. Mais l’optimisme utopique des constructeurs d’aéronefs ne fait que naître. Emporté par cette fièvre, le gouvernement britannique finance après la guerre un ambitieux programme de construction de dirigeables qui connaîtra une fin abrupte. Le R38, fleuron technologique de l’époque s’écrase dans l’estuaire Humber au large du Yorkshire en août 1921 et fait 44 morts. Malgré la catastrophe, Londres signe et persiste. Développé les années suivantes, le R101 doit permettre de rejoindre Bombay en Inde. Mais le dirigeable britannique s’écrase en octobre 1930, tuant 48 de ses 55 passagers. Fin de partie pour les zeppelins britanniques.
Crash et malédiction
Moins ambitieux, les Français tentent malgré tout eux aussi leur chance dans l’aventure des zeppelins. L’aventure est de courte durée : en décembre 1923, le zeppelin allemand L72 rebaptisé Dixmude par la marine française est littéralement foudroyé au large de la Sicile et emporte avec lui dans les abysses les 50 passagers. Exit la France.
L’Italie se lance elle aussi dans la course au dirigeable. Mais l’aérostat Italia, piloté par le célèbre aviateur Umberto Nobile, se crashe en mai 1928 au nord du Svalbard en voulant rejoindre le pôle Nord. Une expédition menée par Roald Amundsen – premier homme à atteindre le pôle Sud – tente de sauver les Italiens perdus sur la glace mais celle-ci échoue, coûtant la vie à l’aventurier norvégien. Rome ne retentera pas sa chance.
Au début des années 1930, la succession d’échecs retentissants des dirigeables européens semble condamner le rêve de Ferdinand von Zeppelin à l’oubli. Reste cependant encore deux écuries : l’armée américaine et le successeur de Ferdinand, Hugo Eckener. Plus intéressés par le potentiel militaire du dirigeable, les Américains mettent au point deux monstres gonflés à l’hélium : l’USS Akron et l’USS Macon. Conçus comme des porte-avions volants devant transporter une poignée de biplans, les deux mastodontes effectuent quelques vols prometteurs en 1931. Mais dès 1932, la malédiction du zeppelin frappe à nouveau.
Après quelques accidents mineurs, l’USS Akron s’écrase au large du New Jersey en avril 1933. Sans canots ni gilets de sauvetage, 73 des 76 passagers meurent d’hypothermie dans l’océan. Deux ans plus tard, l’USS Macon s’écrase au large de la Californie. Heureusement, le modèle junior était cette fois équipé pour un ammerrissage d’urgence. 81 des 83 passagers survivent mais le rêve d’un zeppelin à l’américaine sombre dans l’océan pour de bon.
Luxe et propagande nazie
Ne reste alors plus que les Allemands. Hugo Eckener a repris avec succès Luftschiffbau-Zeppelin et depuis 1928, les dirigeables allemands sillonnent le ciel. Le Graf Zeppelin, le modèle iconique de l’époque, survolera 143 fois l’Atlantique avec des centaines de passagers à bord dans des conditions luxueuses, comparables à celle d’un paquebot. Mais comme toutes les histoires qui se passent en Allemagne dans les années 1930, les Nazis s’y sont mêlés. Sous l’impulsion de la propagande nazie, Eckener fait construire le plus grand zeppelin possible en 1936 : le LZ 129 Hindenburg mesure 245 mètres de long. Plus rapide qu’un bateau, battant le record du trajet le plus long avec 43 heures, le Hindenburg satisfait les ambitions des autorités nazies. Jusqu’au 6 mai 1937.
Lors de son atterrissage à Lakehurst dans le New Jersey, le zeppelin gigantesque gonflé à l’hydrogène s’embrase en quelques secondes et s’effondre au sol. 36 des 100 passagers meurent brûlés vifs. Traumatisme national et international, l’accident du Hindenburg signe la fin de l’âge d’or du zeppelin, de plus en plus concurrencé par les progrès parallèles des avions à réaction.