Au cas où vous auriez besoin de dévier un astéroïde – la vie est pleine de surprises – Patrick Michel sait comment faire. Depuis trente ans, cet astrophysicien français, responsable de la mission Hera de l’ESA et membre de la mission DART de la Nasa, étudie ces objets célestes pour mieux comprendre l’histoire de notre système solaire.
Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux astéroïdes ?
Pour deux raisons principales. D’abord parce que les astéroïdes sont les meilleurs traceurs de l’histoire de notre système solaire. Ce sont eux qui ont formé les planètes mais ils n’ont pas été transformés, ce qui nous donne un accès à la composition initiale de la nébuleuse solaire afin de mieux comprendre l’origine de la vie sur Terre. Mais le risque d’impact des astéroïdes m’a rapidement intéressé aussi. On travaille sur ces questions depuis le début des années 2000 et cela culmine aujourd’hui avec les missions DART et Hera.
Que sait-on aujourd’hui des astéroïdes ?
Nos connaissances ont beaucoup évolué en trente ans. Jusqu’aux années 1990, les astéroïdes n’étaient que des petits points lumineux. En 1991, la sonde Galileo de la NASA, en route pour Jupiter, est la première à observer un astéroïde sur son chemin : Gaspra. En 1993 et 1994, elle observe Ida et Dactyle. À partir de là, de petits mondes géologiques d’une complexité incroyable se sont ouverts à nous. Chaque astéroïde présente des caractéristiques différentes en termes de morphologie, de taille, de densité mais aussi géologiques : des cratères, des bassins et même des avalanches ! Les astéroïdes sont des corps actifs, qui subissent des processus de transformation. C’est ce que nous cherchons à comprendre avec les missions japonaises Hayabusa 1 et 2 (en 2003-2010 et 2014-2020) et américaine Osiris-Rex (2016-2023) qui ont rapporté des échantillons de roche d’astéroïde.
« Les astéroïdes sont des puzzles imparfaits »
Qu’en a-t-on appris ?
On a découvert que les astéroïdes peuvent être composés de métal, de roche silicatée, de glace et d’eau, et que leur surface n’est pas dure mais plutôt une couche granulaire. Ces objets ne sont pas des roches monolithiques mais sont au contraire très fracturés, issus d’un corps plus grand détruit par une collision. En effet, lorsqu’on percute un astéroïde, les fragments solides se suivent et se réagglomèrent pour former un nouveau corps. Les astéroïdes sont des puzzles imparfaits avec du vide au milieu, ce qui explique leur faible densité. Les analyses des roches ont aussi permis d’établir un probable lien génétique entre Ryugu (l’astéroïde d’Hayabusa 2) et Bénou (celui d’Osiris-Rex). Les deux pourraient venir d’un même corps parent. C’est une découverte inédite dans l’étude du lien entre les astéroïdes et la formation de notre système solaire.
Comment passe-t-on de ces missions d’observation à des missions de déviation ?
Le second S de Osiris-Rex signifie « sécurité » car un des objectifs de la mission était aussi de mesurer l’effet Yarkovsky, un rayonnement thermique qui impacte les petits astéroïdes et qui permet d’évaluer la probabilité d’impact avec la Terre.
Que sont les missions DART et Hera ?
Les deux missions fonctionnent en binôme pour réaliser et analyser le premier test de déviation d’un astéroïde. Dans un premier temps, une sonde de la NASA a été envoyée en direction de l’astéroïde double appelé Didymos-Dimorphos. Le 26 septembre 2022, la sonde a percuté Dimorphos – qui mesure 150 mètres de diamètre – avec pour objectif de dévier sa trajectoire orbitale autour de Didymos de quelques minutes. Avant l’impact, la trajectoire de Dimorphos était de 11h55 et nous avons réussi à la réduire de 33 minutes.
Un projectile envoyé à 24 000 km/h
La mission Hera, elle, c’est l’inspecteur Colombo. Elle doit aller sur la scène de crime en connaissant le coupable – DART – et mener l’enquête. La sonde de l’ESA partira le 7 octobre 2024 et arrivera en orbite de Didymos en octobre 2026. Une fois sur place, elle restera six mois pour mesurer la structure interne de l’astéroïde avec un radar, ce qui n’a encore jamais été fait. Elle doit aussi mesurer sa masse, déterminer si DART a laissé un cratère, quelle taille il fait etc. La sonde sera accompagnée de deux CubeSats – des nanosatellites – qui vont se poser sur Dimorphos pour voir comment la surface réagit à un impact à faible vitesse. Avec les résultats de DART et de Hera, on va pouvoir documenter avec précision le tout premier test de déviation d’un astéroïde.
Comment dévie-t-on concrètement un astéroïde ?
C’est très simple : on envoie une sonde spatiale, mais au lieu de survoler l’astéroïde, elle rentre dedans. On joue au billard avec un projectile artificiel envoyé à haute vitesse – 6,1 km/s pour DART, soit 24 000 km/h – et on espère que l’impact va dévier la trajectoire de l’astéroïde. Ensuite, tout dépend de sa structure. Si l’on s’enfonce dedans, on n’apporte que sa quantité de mouvement donc l’astéroïde ne dévie que légèrement, quelques minutes à peine. En revanche, si l’on tape dedans et que l’astéroïde est fragile, de la matière est éjectée dans la direction opposée à l’impact et vient s’ajouter la quantité de mouvement de la sonde. Pas besoin d’explosifs, il suffit de connaître la structure de l’astéroïde. S’il est mou, il faut simplement apporter plus d’énergie.
« Dévier un astéroïde est à notre portée »
Pourquoi essayer de dévier un astéroïde ? Menacent-ils la Terre ?
Pour l’instant, non. Quand on calcule les évolutions des astéroïdes, on peut établir une échelle de temps de prédiction de 50 à 100 ans et pour l’heure aucun des objets que l’on connaît ne nous menace. Pour les gros astéroïdes, ceux dont le diamètre fait au moins 1 km, ce qui correspond au seuil de catastrophe à l’échelle de la planète entière, les fréquences d’impact sont de 500 000 ans et nous les connaissons quasiment toutes. Pour les astéroïdes plus petits, le risque est légèrement plus important mais reste très modéré. Malgré ces risques faibles, on sait que cela peut arriver et que les conséquences seront majeures. Mieux vaut prévenir que guérir.
D’où l’idée de défense planétaire.
Exactement. J’en parle notamment dans mon livre À la rencontre des astéroïdes (Odile Jacob, 2023) où je fais l’analogie avec la pandémie du coronavirus. Un impact d’astéroïde sur la Terre est un évènement à très faible probabilité mais à très haute conséquence. Contrairement à un séisme que l’on ne peut pas prévenir et difficilement prédire, dévier un astéroïde est à notre portée. Pour ce faire, nous n’avons pas besoin de faire sauter un verrou technologique extraordinaire, il suffit d’apprendre à le faire et se coordonner. Nous devons simplement développer une méthode pour s’en protéger et une coordination internationale efficace pour prendre la décision d’agir si cela doit advenir.
Un astéroïde visible à l’œil nu en 2029
D’autres missions sont prévues pour cela ?
En plus de DART et Hera, il y a la mission NEO Surveyor de la NASA prévue pour 2028. C’est un télescope spatial qui a pour but de faire l’inventaire de tous les objets de plus de 140 mètres de diamètre – le seuil de catastrophe à l’échelle d’une région ou d’un continent – et donc potentiellement dangereux. Aujourd’hui, nous n’en connaissons que 40% et même si les fréquences d’impact ne sont que de 10 000 ans, connaître les 60% restants serait utile pour les anticiper. En 2040, lorsque la mission sera finie, nous devrions avoir une très bonne connaissance des menaces à court et long terme.
À court terme ?
La sonde Osiris-Rex est repartie en septembre 2023 sous le nom d’Osiris-Apex pour se rendre sur Apophis, un astéroïde de 340 mètres qui doit passer près de la terre le 13 avril 2029. Ce dernier devrait être visible à l’œil nu par plus de 2 milliards de personnes en Europe et en Afrique du Nord. La sonde va cependant rater la rencontre entre la Terre et Apophis de quelques jours donc nous essayons de monter deux missions – Droid avec le CNES et le Jet Propulsion Lab et Ramsès avec l’ESA – qui pourront le faire.
On espère obtenir le feu vert rapidement pour au moins une des deux missions car il faudrait décoller en 2028. Travailler sur les astéroïdes est un rappel constant que le temps long est important à notre époque où l’instantané prévaut. Chacune de ces missions demande des années voire des décennies de préparation et de coordination. Mais avec des enjeux aussi magnifiques et des résultats aussi extraordinaires, cela en vaut la peine.
Propos recueillis par Florian MATTERN