« Il y a une mouvance autour des OVNIS qui n’est absolument pas raisonnable », Frédéric Courtade, directeur du GEIPAN

Image d'illustration Shutterstock
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En janvier 2024, Frédéric Courtade était nommé directeur du GEIPAN, le fameux Groupe d’études et d’informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés basé à Toulouse. Ene entité qui se veut rationnelle mais qui, par sa nature, continue à alimenter des fantasmes.

Le Groupe d’études des phénomènes aérospatiaux non identifiés a été créé en 1977. Pourquoi une telle entité a-t-elle vue le jour à ce moment précis ?

Frédéric Courtage : Le début des années 70 fut l’époque de plusieurs vagues d’observations d’OVNIS, de choses qu’on n’arrivait pas à expliquer. À ce moment-là, la façon de s’informer était différente : il y avait deux chaînes de télévision, qu’on regardait en famille. Des présentateurs vedettes, d’émissions culturelles et d’information, faisaient une fixette sur les OVNIS. Ils donnaient une information qui n’était pas forcément vérifiée. Au niveau politique, certains ont pensé à créer une entité qui viendrait apporter une réponse officielle à ces observations. Ça a notamment été évoqué par Robert Galley, un des ministres de la défense de Giscard, puis repris par le président du CNES de l’époque, Maurice Lévy, qui a pensé qu’il était en effet possible de créer une entité qui apporterait une réponse rationnelle, basée sur des faits scientifiques et techniques. Le GEPAN est né de tout ça.


Que faisiez-vous, vous, en 1977 ? 

J’étais jeune, dans les années 70 ! J’ai découvert le GEPAN dans l’émission de Jean-Claude Bourret qui, en prime-time, était centrée sur l’observation d’OVNIS. Depuis 2008, communiquer en toute transparence fait partie de notre mission. À l’époque, la communication était beaucoup plus contrôlée. Ce qui était transmis au public était édulcoré. Tout n’était pas transmis. Au fil du temps, ça a nui à l’image du GEPAN. Les gens disaient qu’on cachait peut-être des choses. Ce fantasme a conduit à un audit et c’est à ce moment-là que le GEPAN est devenu GEIPAN, avec ce « I » de « Information. » Cela a aussi mené à la publication des archives du GEPAN. Depuis 2005, tous les travaux que l’on réalise sont publiés. 

En 1977, étiez-vous déjà intéressé par la question de la vie extraterrestre ou des phénomènes aérospatiaux non identifiés ?

La question de la présence d’une autre forme de vie dans l’univers m’a toujours interpellé. C’est pour ça que j’ai travaillé dans le secteur spatial, dans la planétologie et l’exobiologie, qui est la recherche de traces de vie ailleurs que sur Terre. En revanche, il y a une mouvance autour des OVNIS qui n’est absolument pas raisonnable. On a des émissions grand public – dispensées par une mouvance qu’on peut qualifier de complotiste – qui appuient parfois des théories farfelues sur des discours de scientifiques sortis de leur contexte. Ces émissions parlent des pyramides, de l’Atlantide, de l’île de Pâques. On est libre de penser ce qu’on veut. Mais notre métier est de rester dans la rationalité, de s’appuyer sur des preuves : des détections, des enquêtes fouillées qui déterminent ce qui est vrai et ce qui est faux.

À quoi ressemble une semaine au GEIPAN ? Sur quoi travaillez-vous, cette semaine ?

On a fait le point avec la personne qui s’occupe du recueil des témoignages et coordonne les enquêtes. On a beaucoup de travail le lundi. Généralement, les gens remplissent les témoignages le week-end. On découvre donc quelles enquêtes il va falloir diligenter. On ne juge rien. On est sûr que les personnes qui témoignent avoir vu quelque chose ont en effet vu quelque chose. La façon dont ils retranscrivent cela, avec émotion, curiosité incrédulité ou inquiétude, est une chose que l’on analyse, pour voir s’il faut les réconforter avant de lancer une enquête. on ne déclenche une enquête que s’ils nous donnent l’autorisation de publier ce qu’on trouvera.

J’ai lu que 3,3 % des phénomènes non identifiés restent, après enquête du GEIPAN, inexpliqués. Comment expliquez-vous cette part de cas non-identifiés ?

Certains auraient vocation à être identifier si on avait plus de temps ou de moyens. Même quand on a déterminé quelle était la situation astronautique, aéronautique et météorologique au moment de l’observation, que l’on a confronté les hypothèses, que notre méthodologie complète a été déroulée mais qu’on ne parvient pas à trouver ce que la personne a vu, cela ne veut pas dire que ce n’est pas identifiable pour autant. On revisite certains cas. Une partie de notre travail est de mettre en forme ce qu’on n’a pas compris pour le présenter à une communauté de scientifiques. Avec l’espoir qu’ils nous permettent de redémarrer l’enquête et de trouver une réponse.

Cela vous arrive de voir quelque chose de surprenant qui vous donne envie de croire qu’une explication terrestre ne suffit pas ?

Honnêtement, non. On analyse les témoignages, on fait des entretiens avec les témoins. Quand on ne trouve pas, je n’imagine pas que l’explication est non-terrestre. Si on ne trouve pas une origine terrestre, on s’arrête. On classe le cas comme non-identifié. Des gens qui sont spécialisés dans ces cas-là viennent alors triturer. Certains partent sur des hypothèses sceptiques. D’autres, sur des hypothèses qu’on qualifie de « croyantes. » Qui, pour moi, ne sont pas raisonnables…


Dans le premier épisode d’X-Files, Fox Mulder demande à Dana Scully : « Croyez-vous en l’existence d’extraterrestres ? » S’il vous posait la question à vous, que lui diriez-vous ?

Je dirai qu’on peut imaginer qu’il y a une autre forme de vie dans l’univers. Qui aurait donc une origine extraterrestre. Chercher des traces de vies dans des exoterres, c’est dans les feuilles de route des exobiologistes au niveau international. On n’est pas prêt d’y arriver et je ne sais pas si on y arrivera un jour. Mais si on est 1, pourquoi ne serions-nous pas 2 ? On dit que sans preuve du contraire, nous sommes seuls dans l’univers. On peut  retourner cette idée : sans preuve du contraire, nous ne sommes pas seuls. Une forme de vie intelligente s’est développée sur Terre. On pense qu’il y a environ 400 milliards d’étoiles dans notre voie lactée. 5% d’entre elles ont une physiologie semblable à notre soleil. En prenant les lois de la mécanique céleste, il pourrait y avoir 6 milliards de planètes semblables à la Terre dans notre galaxie. Ça ne veut pas dire qu’elles sont habitables. Mais elles se situent dans des zones où l’eau sous forme liquide peut subsister. D’autres critères entrent en jeu, bien sûr. On ne sait pas bien comment la vie a été engendrée. Mais ce serait assez exceptionnel que nous soyons seuls. Par contre, dire que ces gens-là ont daigné nous rendre visite, ou sont en train de le faire, c’est une optique à laquelle je n’adhère pas encore… On n’a pas de preuve au GEIPAN que telle chose se soit passée.