À Edimbourg, un charbon biologique pour viser la neutralité carbone d’ici 2045

Une personne pelle du charbon de bois au soleil du matin, biochar. Photo Shutterstock
Une personne pelle du charbon de bois au soleil du matin, biochar. Photo Shutterstock

À Edimbourg, en Ecosse, une équipe de chercheurs de la Heriot-Watt University étudie l’utilisation du biochar comme matériau de construction innovant à faible teneur en carbone. Le Dr. Mehreen Gul, qui pilote le projet, y croit dur comme fer. Derrière, des enjeux environnementaux, mais pas seulement.

Le Pacte vert de l’Union Européenne qui vise à éliminer autant d’émissions de CO2 qu’elle n’en produit d’ici 2050 est-il suffisamment ambitieux, alors que la population mondiale devrait compter 1,6 milliards d’humains en plus d’ici là ? En Écosse, on veut atteindre cet objectif cinq ans plus tôt. Un projet pas si irréalisable que ça, à en croire le Dr. Mehreen Gul, professeure d’ingénierie architecturale à la Heriot-Watt University. : « Le secteur de la construction représente près de 40 % des émissions mondiales de carbone liées à l’énergie. Il est donc essentiel que nous trouvions de nouvelles façons de réduire cet impact rapidement. » 

Depuis son bureau en Ecosse, la scientifique suggère déjà une piste : le biochar, une substance semblable au charbon de bois obtenue en chauffant une biomasse organique provenant de déchets papiers, alimentaires, agricoles ou forestiers, avec peu ou pas d’oxygène du tout. « Cela n’a rien de nouveau, reprend l’experte. Le biochar est vieux de milliers d’années. On l’a notamment utilisé pour améliorer les sols agricoles. » L’idée d’utiliser le biochar dans la construction est en revanche plus récente. « Avec la crise climatique, on doit tous identifier des solutions à faible empreinte carbone, enchaîne Gul. Dans l’économie circulaire, on cherche des matériaux qui peuvent être réutilisés ou recyclés. Voilà pourquoi on s’intéresse au biochar. »

Décarboner le monde

Le projet piloté par Mehreen Gul a reçu un financement de 800 000 livres sterling (soit plus de 950 000 euros, ndlr) de la part de l’organisme public UK Research and Innovation. D’autres acteurs font partie du projet, comme Scottish Forestry, qui gère la réglementation forestière au pays du whisky. « Parce qu’ils ont beaucoup de déchets dont on peut se servir, intervient Gul. Une fois tombées, avec le temps, les feuilles mortes se décomposent et relâchent le carbone qu’elles avaient absorbé en grandissant. Ce carbone se retrouve donc à nouveau dans l’atmosphère. » Pendant des millénaires, ce cycle naturel n’a jamais posé de problème. « Mais, de nos jours, on a beaucoup plus de carbone. Plus que ce qui peut être absorbé. » Recycler les déchets naturels est déjà une manière de décarboner le monde. Mais le Dr. Gul assure que le biochar a bien d’autres avantages. 

Le biochar est produit par pyrolyse de biomasse, une décomposition chimique d’un composé organique obtenu grâce à une forte augmentation de sa température. Si le biochar a été utilisé dans le monde agricole, c’est du fait de sa porosité. « Comme une éponge », il absorbe les nutriments présents dans un sol « et peut aborder plein d’éléments dans un bâtiment, poursuit Gul. Que ce soit l’air, l’humidité, des polluants toxiques et le dioxyde de carbone. » Comme matériau de construction, le biochar pourrait permettre d’éviter des problèmes d’humidité et de moisissure « mais aussi servir d’isolant et contribuer au confort thermique en maintenant la température intérieure à un certain niveau. »

Quand le biochar deviendra mainstream

Ce qui, de fait, permettrait aussi de limiter les dépenses liées à l’énergie, à une époque de factures qui s’envolent depuis le début de la guerre en Ukraine. Voilà ce qui pourrait particulièrement séduire le secteur du bâtiment, que le projet multidisciplinaire du Dr. Gul compte bien inclure. « C’est eux qui vendront du biochar quand cela deviendra mainstream, eux qui construiront des immeubles avec, dit-elle. On veut aussi impliquer des associations de logements. On veut connaître les tendances de l’industrie, savoir ce qu’ils veulent. » 

L’équipe du Dr. Mehreen Gul mélangera du biochar à du béton, du ciment, fabriquera des briques en utilisant plus ou moins du composé, fourni par des entreprises au Royaume-Uni et en Allemagne. Les résultats comprendront des rapports détaillés sur les applications du biochar dans les bâtiments et des mesures de performance pour les structures utilisant des composites de biochar. Selon la Heriot-Watt University, le projet, qui commencera réellement début 2025, pourrait transformer le secteur du bâtiment « en offrant de nouvelles voies pour des pratiques et des matériaux de construction durables. »

L’enjeu est aussi politique : en doublant l’Union européenne dans sa quête de neutralité carbone avec cinq ans d’avance, l’Écosse tente-t-elle de lui faire les yeux doux ? Fin 2023 ? le SNP, le parti indépendantiste au pouvoir, avait réitéré son ambition de réintégrer l’UE s’il parvenait, un jour, à gagner son indépendance du Royaume-Uni.