L’arrestation du patron de Telegram Pavel Durov en France, sème le trouble sur l’avenir du réseau social dans le pays qui l’a naturalisé en 2021 et fait renaître un clivage politique entre patrons de la tech et démocraties occidentales.
Pavel Durov, fondateur du réseau social Telegram, ne s’attendait pas en sortant de son jet privé à l’aéroport du Bourget, le 24 août dernier, à être arrêté manu militari par les forces de l’ordre française, trois ans après avoir obtenu sa naturalisation. Selon une information de Radio France, c’est même le président de la République en personne, Emmanuel Macron, qui aurait œuvré en coulisse pour faciliter la prise en compte de son dossier déposé le 10 décembre 2020 à l’Alliance Française de Dubaï.
Ministres et hackers
Un revirement de situation inattendu, alors que l’application de messagerie cryptée qui revendique un milliard d’utilisateurs mensuels dans le monde, est connue pour être très appréciée par les membres du gouvernement. Selon Politico, le chef de l’État apparaissait encore en ligne « récemment » au moment de la garde à vue de Pavel Durov, fin août.
Chefs de cabinet, responsables de la diplomatie, conseillers politiques, députés, ministres…. Tous ont largement favorisé Telegram pour leurs échanges d’informations depuis dix ans, profitant du système de cryptage le plus performant de toutes les plateformes. À tel point qu’il en était devenu le moyen de communication privilégié des criminels, trafiquants et hackers.
Car c’est bien là le problème : en se plaçant au-dessus des lois gouvernementales, l’application de Pavel Durov est devenu autant un outil majeur dans le relai d’informations confidentielles, que pour lutter contre les systèmes totalitaires ou en faveur du crime organisé. Des effets collatéraux qui suscitent la méfiance dans une trentaine de pays depuis 2015. Cette année-là, la Chine est le premier pays à bloquer l’application pour ses citoyens. L’Iran emboite le pas en 2018 comme la Russie, qui fait finalement machine arrière, découvrant là un canal idéal pour ses diplomates. En Europe, la Norvège est le seul pays à en interdire l’accès depuis mars 2023, considérant Telegram comme une menace pour la sécurité nationale.
Censure et amendes
En 2022, l’Allemagne a envisagé un temps de l’interdire après la découverte de 64 chaînes qui ne respectaient pas les lois allemandes. Une amende 5 millions d’euros et la suppression de millions de vidéos illégales ont finalement suffit. Plus récemment, l’Espagne, en mars 2024, a tenté de couper l’accès avant de se rétracter face au tollé dans l’opinion publique. Au Royaume-Uni, les manifestations de l’extrême droite cet été après que trois filles aient été poignardées ont été organisées via des chaînes sur Telegram. Le premier ministre Keir Starmer envisage de prendre des mesures fortes.
En France, un mandat de recherche émis par l’Office français de lutte contre les violences faites aux mineurs visait directement Pavel Durov. La juge d’instruction en charge de l’affaire, qui l’a depuis remis en liberté avec interdiction de quitter le territoire, lui reproche une absence de modération dans les contenus partagés sur son réseau – ce qui faisait justement le succès de Telegram – et un refus de collaborer avec les autorités pour lutter contre le terrorisme, le trafic de drogues ou le cyberharcèlement.
Libertariens
Pavel Durov est qualifié de libertarien par de nombreux observateurs, un courant politique prônant un libéralisme radical et une liberté d’expression poussée à son paroxysme, à l’instar d’Elon Musk. Ce dernier n’a pas tardé fin août à soutenir le fondateur de Telegram via son réseau social X, dont il a banni tous les modérateurs au moment de son rachat.
D’autres figures de la Tech ont également manifesté leur soutien à Pavel Durov, dont Chris Pavlovski qui déclaré que la France avait « menacé Rumble, et maintenant franchi une ligne rouge en arrêtant le PDG de Telegram, apparemment pour ne pas avoir censuré les discours ». Rumble, plateforme de vidéo en ligne non modérée dont il est le créateur, a en effet été interdite en France en 2022.
Edward Snowden
Outre ces figures de la tech classées à droite de l’échiquier politique, le lanceur d’alerte Edward Snowden – qui avait révélé des programmes de surveillance de masse aux États-Unis et au Royaume-Uni en 2013 – s’est lui aussi fendu d’un post sur X : « L’arrestation de Pavel Durov est une attaque contre la base des droits humains de communication. Je suis surpris et profondément attristé qu’Emmanuel Macron se soit abaissé au point de prendre des otages afin d’accéder à des communications privées. Cela rabaisse non seulement la France, mais aussi le monde entier. »
Depuis son arrestation, l’application Telegram a fait savoir qu’elle comptait supprimer des fonctionnalités très prisées des trafiquants de drogue dont la recherche d’utilisateurs à proximité. Pas sûr que cela suffise à la justice française.