Les morceaux de satellites et autres débris s’accumulent depuis des années dans l’espace. Pour éviter des collisions désastreuses et limiter cette pollution néfaste, Jean-Luc Fugit lance l’alerte. Député du Rhône (Renaissance) et vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, il appelle à des réponses technologiques pour nettoyer l’espace mais aussi développer une politique satellitaire plus sobre.
Que sont ces débris spatiaux qui polluent l’espace ?
Il y a plusieurs sortes de débris que l’homme a laissés dans l’espace depuis plusieurs décennies. Il y a des objets lâchés au cours de missions comme les étages hors d’usage de fusée, les satellites qui ne sont plus opérationnels mais on trouve aussi des fragments causés par des collisions. L’Agence spatiale européenne (ESA) répertorie environ 1 million d’objets de plus de 1 cm d’origine humaine en rotation autour de la Terre, dont 8 700 satellites actifs aujourd’hui. Elle comptabilise approximativement 36 000 débris de plus de 10 cm, un million entre 1 et 10 cm mais plus de 150 millions en dessous du centimètre.
Pourquoi est-ce si important ?
La couverture satellitaire est essentielle sur Terre, un smartphone lambda se connecte à environ 30-40 satellites différents par jour. On ne compte plus les services qui en dépendent, que ce soit la gestion des trains par la SNCF, l’agriculture de précision, l’assurance paramétrique des cultures en plus de toutes les télécommunications. Il y a de plus en plus de satellites en orbite et on prévoit d’en envoyer encore des milliers dans les années à venir. Avec cela, l’accumulation de ces débris ne peut qu’augmenter et cela comporte des risques importants.
« Une charge de 240 kg de TNT »
Quels sont ces risques ?
En augmentant le nombre de débris, on augmente tout simplement les risques de collisions, et donc on crée de nouveaux débris. Ce risque de phénomène s’appelle le syndrome de Kessler, qui postule que des collisions de débris spatiaux déclencheraient un cercle vicieux de collisions inarrêtable, rendant l’orbite terrestre totalement impraticable à terme.
Que fait-on aujourd’hui pour éviter ces collisions ?
Une des solutions consiste à blinder les satellites avec du kevlar ou de la mousse métallique lors de leur construction pour résister à un éventuel impact. Il faut savoir que les objets en orbite basse se déplacent à une vitesse moyenne de 7,5 km/s. Lancée à cette vitesse, un débris d’à peine 1 millimètre fait autant de dégâts qu’une boule de bowling lancée à 100 km/h. Un débris d’1 centimètre correspond à une berline lancée à 130 km/h et au-delà de 10 cm, cela équivaut à une charge de 240 kg de TNT. Pour l’instant, les probabilités de collision sont faibles mais elles ne font qu’augmenter.
« Un bras robotique pour capturer les débris »
Il y a aussi des programmes de surveillance mis en place pour classifier les risques potentiels. L’armée américaine a notamment un catalogue très complet des débris spatiaux. Ils ont tout intérêt à se poser la question puisque la majorité des projets de constellation satellitaire vient de chez eux. L’Union Européenne, via l’ESA, a aussi un programme baptisé Space Surveillance and Tracking. En France, le Centre national d’études spatiales (CNES) a mis en place le service CAESAR qui s’occupe des mêmes problématiques d’analyse préventive.
Quelles sont les autres conséquences négatives de l’accumulation des débris spatiaux ?
Il y a un impact négatif sur l’observation astronomique. Avec des télescopes optiques, l’usage d’infrarouges et d’ultraviolets est perturbé car la lumière du Soleil est réfléchie par ces débris. Cela peut causer des erreurs d’interprétation voire endommager des capteurs. De plus, il ne faut pas oublier que certains des objets qui se trouvent en orbite basse finissent par retomber sur Terre. Même si seulement 10 à 40% de leur masse survit à l’entrée dans l’atmosphère, d’importants morceaux peuvent s’écraser.
Des solutions concrètes sont-elles prévues pour « nettoyer l’espace » ?
Les États-Unis mais aussi la France travaillent sur des techniques de harponnage et de capture par filet. Pour ce faire, on utilise une sorte d’aimant qui va attirer les débris afin de les collecter. Du côté de l’Europe – et aussi du Japon – une solution avec un bras robotique qui pourra capturer les débris est en cours de développement. Il faut encore voir si ces méthodes sont efficaces mais il est important d’encourager la recherche là-dessus.
« Une démarche fondée sur des considérations de durabilité et de sobriété »
Ce n’est pas pour demain…
Le lancement du bras robotique de l’ESA est prévu pour 2026 donc peut-être plutôt après-demain. (Rires) Si ces missions peuvent supprimer les débris les plus importants en taille, et donc les plus dangereux, cela réduira la probabilité qu’ils se dégradent et causent d’autres dégâts.
Quelles autres solutions préconisez-vous à l’issue de vos travaux pour l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ?
Il faut un suivi plus fin des débris spatiaux et prévoir des missions pour retirer les plus dangereux. Mais il faut aller plus loin et traiter le problème en amont, dès la conception des objets spatiaux. Cela passe notamment par une réglementation plus précise. Faut-il autoriser seulement le lancement d’objets spatiaux dits durables, dont la fin de vie a été pensée ? Il faut une démarche fondée sur des considérations de durabilité et de sobriété. Avec cet état des lieux, on a mis le sujet en orbite au Parlement en France. Il faut continuer la recherche et la discussion pour peut-être faire évoluer les aspects réglementaires au niveau européen et international.
« Le brouillage et l’espionnage aussi sont concernés »
En quoi la question des débris spatiaux est un sujet politique d’actualité ?
On se trouve au carrefour de différents enjeux avec la question des débris spatiaux. De nos satellites dépend un accès plus égalitaire à Internet, un suivi des phénomènes climatiques de la Terre, notamment des quantités de CO2 dégagées. Toutes les activités humaines y sont aujourd’hui plus ou moins liées. Les problématiques de brouillage et d’espionnage aussi sont concernées par exemple. Cette pollution de l’espace, qui n’est vraiment pas négligeable, peut perturber tous ces fonctionnements. Il y a un début de prise de conscience de ce sujet mais je ne pense pas que tous les pays se posent encore la question. Va se poser aussi la question de la responsabilité collective de cette pollution. Quel pays est responsable de quel envoi de satellites ou de fusées ? C’est un élément clef de la solution.
Propos recueillis par Florian Mattern