Le futur d’Internet est dans les mains de la Cour suprême des États-Unis

Le futur d’Internet est dans les mains de la Cour suprême des États-Unis
Bâtiment de la cour suprême des États-Unis où les neuf juges devront décider de l'avenir de la modération sur les plateformes. - © christianthiel

Suite à des lois passées en Floride et au Texas sanctionnant la modération des grandes plateformes, deux recours pour inconstitutionnalité ont été déposés devant la Cour suprême. En pleine période électorale, les neuf magistrats vont donc décider si les contenus haineux seront autorisés au nom de la liberté d’expression.

Facebook, TikTok et X seront-ils bientôt obligés de laisser circuler des contenus haineux, de la pornographie ou des messages terroristes ? La décision qui devra être rendue par la Cour suprême des États-Unis au printemps 2024 pourrait redessiner en profondeur le fonctionnement des plateformes de réseaux sociaux en interdisant la modération de contenus au nom d’une conception débridée de la liberté d’expression. 

Bloquer la dé-plateformisation

La décision prise en janvier 2021 de bannir Donald Trump de Twitter après l’invasion du Capitole avait suscité l’ire d’une importante frange conservatrice de la population américaine, dénonçant des mesures censoriales extrêmes et une atteinte grave à la liberté d’expression que garantit le premier amendement de la Constitution américaine. En mai 2021, le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis, avait décidé de signer une loi pour bloquer la « dé-plateformisation » des politiciens floridiens. Nommée SB7072, la loi prévoit une fourchette de sanctions allant de 25 000 à 250 000 dollars selon le rang de la personne censurée. Aussitôt décriée, la mesure a pourtant été suivie peu après d’une loi au Texas qui interdit la censure basée sur l’opinion d’un utilisateur de plateforme. 

Réunies sous la bannière de l’association NetChoice, Meta, Twitter, TikTok ainsi que d’autres plateformes ont immédiatement décidé de contester ces lois. Mais malgré des victoires préliminaires ayant permis la suspension temporaire des deux textes, les affaires sont remontées jusqu’à la plus haute juridiction américaine. Ce lundi 26 février 2024, la Cour suprême a auditionné pendant plus de quatre heures les protagonistes de l’affaire. 

Modération ou censure 

D’un côté, les avocats généraux de la Floride et du Texas invoquent le fameux premier amendement qui assure la liberté d’expression. En comparant la modération des plateformes à une forme de censure politique, les deux juristes affirment que les réseaux sociaux exercent une discrimination fondée sur les opinions politiques. Henry Whitaker, avocat général de la Floride, affirme que les plateformes sont « comme des compagnies téléphoniques car elles permettent à leurs abonnés de communiquer ». 

De l’autre, les plateformes s’appuient sur la section 230 du Communications Decency Act de 1996 (loi fédérale visant notamment à le contenu pornographique en ligne) qui les protège de toute poursuite judiciaire concernant le contenu diffusé et leur garantissant le droit de modérer comme bon leur semble. Pour Paul Clement, l’un des avocats de NetChoice, les plateformes doivent être vues « comme des journaux », ne pouvant donc pas se voir imposer la publication d’opinions contraires à leur ligne éditoriale. D’un côté comme de l’autre, le premier amendement est brandi. Ce sera donc à la Cour suprême d’interpréter et de trancher. 

Des juges pas experts 

Au bout de ces quatre heures d’audition, les neuf juges ont exprimé un certain scepticisme quant aux critiques d’inconstitutionnalité et au manque d’information sur le fonctionnement des restrictions que peuvent imposer les plateformes. Autant le conservateur Samuel Alito que la libérale Sonia Sotomayor ont indiqué que les affaires pourraient être renvoyées à des juridictions inférieures. De l’aveu d’Elena Kagan, juge assesseure nommée par Barack Obama en 2010, les magistrats de la Cour suprême « ne sont pas les meilleurs experts d’Internet ». La décision attendue au printemps prochain pourrait pourtant en redéfinir drastiquement le fonctionnement aux États-Unis. Reste à savoir comment l’Union Européenne pourra réguler sur son territoire des plateformes américaines sans modération.