La fin du moustique tigre en Europe ?

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Ceux qui croient que l’existence peut être belle, simple et paisible quand on boit du vin blanc dans une paillote, qu’on lit et se prélasse au bord de la piscine d’un hôtel ou sur une plage de Méditerranée, peuvent perdre leurs convictions en moins d’une seconde : quand un moustique émet son horrible petite musique à proximité des oreilles ou plonge sa trompe dans une peau qui n’a rien demandé. Puis que d’autres l’imitent. Heureusement, des scientifiques comme Jérémy Bouyer ont décidé d’agir, notamment contre l’une des espèces les plus invasives au monde : le moustique tigre. 

Vous êtes entomologiste au CIRAD, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement de La Réunion. Qu’est-ce qui vous a mené vers cette voie ?

Jérémy Bouyer : C’est génétique ! Mon grand-père était entomologiste amateur. Dans ma chambre, à 5 ans, j’élevais déjà des chenilles de Sphinx, qui vivaient dans mon jardin au Maroc. Mes parents étaient profs et on voyageait beaucoup. Après ça, en Algérie, à 6 ans, j’ai fait un élevage de vers à soie. Je les nourrissais avec des feuilles de muriers. J’aime ce qui est petit et mignon ! Quand j’ai commencé à travailler, je suis reparti en Afrique. Mon premier stage, déjà avec le CIRAD, concernait la Fièvre de la vallée du Rift, au Sénégal. Je devais travailler sur l’épidémiologie de cette maladie, qui est transmise par les moustiques. J’ai combiné plusieurs pièges existants pour en créer un nouveau. Puis mon maître de stage m’a proposé de travailler sur les mouches tsétsés. Avant même d’avoir mon diplôme de vétérinaire, j’avais décroché un CDI au CIRAD pour bosser sur les mouches tsétsés, au Burkina Faso.

Vous êtes venu à l’étude des moustiques par ce stage au Sénégal ? Même ceux qui défendent ardemment les autres insectes ont dû mal avec les moustiques…

Je les déteste aussi ! Quand on m’a proposé ce stage sur les mouches tsétsé, j’étais embêté. Elles transmettent la maladie du sommeil et la trypano animale. C’est une belle saloperie, mais, en fait, je voulais déjà lutter contre les moustiques. Un jour, j’étais à Montpellier pour une conférence. En buvant une bière en terrasse, je me suis fait bouffé par les moustiques. Avant, il n’y avait pas de moustiques comme ça, des moustiques tigres. Ils sont arrivés en France en 2005 / 2006. Je trouvais ça insupportable. Alors, au lieu de continuer à travailler sur les tsétsés en Afrique, j’ai écrit un gros projet sur les moustiques. C’est le commerce mondial et l’augmentation des échanges qui les ont amenés en Europe. Ils sont arrivés dans des pneus usagés. Si on les a amené, on peut les éradiquer de France. C’est mon but. Tout à l’heure, je me suis encore fait piqué deux fois. Tous les jours, ils me motivent. 

Il a récemment été annoncé qu’une équipe que vous pilotez est parvenue à démontrer l’efficacité de la technique du mâle stérile renforcée pour réduire drastiquement les populations de moustiques tigres. Ça fonctionne comment ?

Dans le cadre de la technique de l’insecte stérile classique, les mâles s’accouplent avec les femelles et leur transmettent du sperme rempli de mutation létale. Ainsi, les œufs meurent. Et les femelles sont stérilisées. Le problème, c’est que pour que ça marche, il faut dix fois plus de mâles stériles que de mâles sauvages. Il faut donc en élever des millions, ce qui est très coûteux. Il y a une vingtaine d’années, un Australien a testé une autre méthode : il plaçait des pièges couverts de produit. Les femelles prenaient du produit et l’amenaient dans les gites. Ça s’appelle l’auto-dissémination. L’inconvénient, c’est qu’il faut placer beaucoup de pièges. Alors c’est très coûteux aussi. Je me suis donc dit : pourquoi n’utiliserait-on pas les mâles stériles pour contaminer les femelles ? Les mâles stériles qu’on lâche essaient de s’accoupler avec les femelles et n’y arrivent pas. Mais en essayant, ils transmettent un biocide qui tue les femelles ou leur progéniture. C’est très efficace. En ce moment, je teste un biocide autorisé en Europe, qui fonctionne bien. Actuellement, je commence à développer un virus qui pourrait permettre d’éradiquer les moustiques d’une ville entière. J’espère y arriver d’ici dix ans.


Qu’est-ce que ce biocide ?

C’est un analogue d’une hormone qui existe chez les insectes. En fait, il ne tue pas les insectes, il les empêche de se transformer. Quand il se retrouve dans l’eau des gîtes, les larves ne peuvent plus se transformer en adulte. Ne se développe donc pas la forme qui nous intéresse, celle qui pique : la femelle adulte. Ce qui est important, c’est qu’il fonctionne à très faible dose. Parce que vous imaginez qu’on ne peut pas mettre beaucoup de produit sur un moustique…

À quel point les moustiques constituent-ils une menace pour l’espèce humaine ?

C’est le moustiques qui tue le plus d’humains. Il transmet 17% des maladies infectieuses dans le monde. Le pire, ça reste le paludisme. En Afrique, ça continue de tuer des centaines de milliers de gens. C’est notre plus grand régulateur. Mais on peut retourner la question : l’Homme lui-même est une saloperie pour la planète ! Alors, tout en réduisant l’impact du moustique sur l’humain, j’essaie de réduire l’impact que l’humain peut avoir sur les autres espèces dans le cadre de sa lutte contre les moustiques. Si pour enlever les moustiques, on tue tout, on tue des pollinisateurs, on engendre plus de mal que les moustiques eux-mêmes.

Mais les moustiques pollinisent aussi, n’est-ce pas ? Ils ont une fonction. 

Tout à fait. Mais avant 2005, il n’y avait pas de moustiques tigres en France. On ne peut pas dire qu’ils avaient une fonction, vu qu’ils n’étaient pas là. C’est une espèce invasive. Si on l’enlève, on rétablit l’écosystème dans son état antérieur. Quand on lutte contre les anophèles en Afrique, c’est différent. C’est une espèce endémique, qui fait partie de l’écosystème et était là bien avant l’Homme. J’ai écrit un papier dont le sujet est de se demander s’il est éthique d’éradiquer des nuisibles. Il faut se poser ces questions avec les espèces endémiques. Mais pas pour les exotiques. Le souci, c’est qu’en luttant contre les espèces exotiques, on tue des espèces endémiques. En région parisienne, on a enlevé 98% des espèces de papillons en voulant lutter contre les ravageurs des cultures. Mon but est donc de lutter contre les moustiques le plus proprement possible. D’ailleurs, pulvériser de l’insecticide dans l’environnement comme on le fait actuellement, c’est aussi toxique pour l’Homme.