Alors que Barack Obama semblait fermer les yeux sur le sort du fondateur de WikiLeaks, accusé d’espionnage, ses successeurs Donald Trump et Joe Biden se sont montrés moins souples, multipliant les demandes d’extradition sur le sol américain, où il risque jusqu’à 175 ans de prison. La Haute Cour de Londres doit trancher dans les prochaines heures.
C’était une vidéo d’un hélicoptère de l’armée américaine, survolant une zone de Bagdad lors d’un raid aérien en juillet 2007. On y voyait alors l’engin tirer sur des civils, tuant au passage deux journalistes de l’agence Reuters. La vidéo, l’un des éléments que contenait une masse de 700 000 documents publiés sur la plateforme WikiLeaks en 2010, fondée par Julian Assange, avait fuité par le biais d’une militaire, Chelsea Manning. Ses révélations compromettantes pour le gouvernement américain sonnaient le glas d’une véritable chasse à l’homme.
« Cette infraction d’espionnage est une infraction qui date de 1917 et paraît, en tout cas pour les observateurs internationaux, quelque chose de tout à fait anachronique et politique, déclarait hier son avocat français maître Antoine Vey sur France Info. Envisager qu’une personne a pu être incarcérée ce temps-là dans ces conditions-là, et que l’audience d’aujourd’hui ne vise qu’à lui accorder un droit d’appel pour une extradition dans un pays dans lequel on sait qu’il ne pourra pas avoir de procès équitable devrait mobiliser l’opinion ». Mais le gouvernement américain, n’a jamais fléchi sur sa volonté de l’incarcérer.
Terroriste high-tech
Pour comprendre, retour en 2012. Julian Assange est en fuite, à Londres. Il a trouvé refuge à l’ambassade d’Équateur qui lui donne le statut de réfugié politique et le protège dans ses locaux, où il vit reclus, sans possibilité de sortir, risquant d’être interpellé et ramené sur le sol américain pour purger une peine allant jusqu’à 175 ans de prison. Mais sous la présidence de Barack Obama, la justice américaine semblait avoir renoncé aux poursuites. Joe Biden, alors vice-président, comparait cependant Julian Assange à un « terroriste high-tech » plus qu’à un héritier des « Pentagon papers », en référence aux révélations sur la guerre du Vietnam dans les années 70, marquant aussi une légère divergence d’opinion avec Barack Obama.
Tout change sous la présidence de Donald Trump, qui reprend le dossier en main et refuse les demandes de grâce des soutiens du fondateur de WikiLeaks. En 2019, l’Équateur change son fusil d’épaule : l’Australien, aujourd’hui âgé de 52 ans, est accusé de viol et incarcéré dans la prison de haute sécurité Belmarsh. Il dénonce alors un complot de la CIA. En pleine campagne électorale pour la présidentielle américaine en 2020, Joe Biden s’exprime en faveur de la liberté de la presse, laissant penser à une évolution possible en faveur d’Assange : « Reporters sans frontières nous dit qu’au moins 360 personnes dans le monde sont actuellement emprisonnées pour leur activité de journalisme. Nous sommes tous solidaires de ces journalistes car, comme l’a écrit Thomas Jefferson en 1786, « Notre liberté dépend de la liberté de la presse, et celle-ci ne peut être limitée sans être perdue. ».
Risque de suicide
Pourtant, en coulisse, son gouvernement multiplie les demandes d’extradition de Julian Assange. Dans un premier temps, la Haute Cour de Londres invoque un risque de suicide et donc refuse en janvier 2021. Nils Muiznieks, porte-parole d’Amnesty International, exhorte le président américain Joe Biden de stopper les poursuites contre Julian Assange. « Le président Barack Obama a ouvert l’enquête sur Julian Assange. Le président Donald Trump a prononcé son inculpation. Il est temps pour le président Joe Biden de faire ce qui est juste et de mettre un terme à cette procédure ubuesque qui n’aurait jamais dû être lancée. » Mais il n’en est rien : les États-Unis font appel de la décision de la Haute Cour de Londres qui finit par céder et se rétracte en 2023, sous la pression.
Julian Assange fait appel à son tour de cette décision lors d’un dernier recours possible contre la justice britannique qui doit décider ce 21 février. Si le verdict ne va pas dans son sens, il ne lui restera qu’une possibilité : saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme. Son épouse, l’avocate Stella Assange, affirme qu’il se trouverait dans un état de santé mental et physique très dégradé, et qu’il pourrait décider de se suicider s’il devait être incarcéré.
La Fédération internationale des journalistes a fait savoir son opposition à son extradition, « qui compromet la liberté fondamentale de la presse partout dans le monde. » Si Joe Biden s’est montré dernièrement silencieux à son sujet, son gouvernement n’a donné qu’une seule garantie au sort qu’il réservait à Julian Assange en cas d’extradition : qu’il ne soit pas incarcéré dans la prison ADX (Colorado), considérée comme « L’Alcatraz des rocheuses ». Une bien maigre consolation pour l’activiste australien, assigné à résidence depuis plus d’une décennie.