Zoltan Itsvan : « Pour vouloir vivre pour toujours, il faut vraiment aimer la vie »

Zoltan Itsvan en famille. Crédit Photo : Andi Hatch
Zoltan Itsvan en famille. Crédit Photo : Andi Hatch

Comment un ancien champion de water-polo est-il devenu transhumaniste puis candidat à l’élection présidentielle américaine à bord d’un bus en forme de cercueil ? Scoop : Zoltan Itsvan n’a pas été élu, mais sept ans plus tard, alors que son combat pour l’extension de la vie se poursuit, il raconte son cheminement intellectuel et sa peur de la mort.

Ce n’est pas forcément bon signe : il a un nouvel iPad et un peu de mal à connecter ses écouteurs dessus. Barbe de quatre jours, cheveux blonds et musculature de nageur cintrée dans un t-shirt gris, Zoltan Istvan a une voix robotique digne d’une webcam des années 2000. « En plus, j’ai une interview avec la BBC après. Il faut que ça fonctionne. Désolé ! » Alors qu’il sort une compilation de ses essais – il est notamment l’auteur d’un roman de science-fiction transhumaniste et écrit de nombreux articles dans le New York Times – Istvan a des choses à dire. Au crépuscule de sa quatrième décennie sur Terre, il confesse avoir davantage peur de ne pas parvenir à ses fins – vivre pour toujours, évidemment – que lors de sa très médiatique campagne présidentielle. « Mais du coup, je suis plus passionné, assure-t-il. J’ai une approche plus académique. J’étudie à Oxford. C’était super de populariser les choses, d’être une figure de proue, mais j’ai besoin de plus de crédibilité scientifique. Pendant la campagne, on est allé dans une megachurch dans l’Alabama. On s’est fait virer par des vigiles armés. Je veux faire plus que créer du conflit. Je veux pouvoir dire que j’ai passé du temps à étudier avec certains des meilleurs cerveaux du monde et expliquer pourquoi c’est faisable. Le mouvement transhumaniste a besoin de la science comme du culturel, qui amène des investissements. J’essaie de faire les deux. » C’est l’histoire d’un homme qui a donné un sens à sa vie en faisant tout pour qu’elle ne s’arrête jamais. Une histoire qui, si elle doit prendre fin un jour, aura au moins été une bonne histoire. 

Vous êtes né dans la région de Los Angeles en 1973. Que faisaient vos parents ?

Ils ont fui la Hongrie en 1968. Ils ont traversé la frontière avec l’Autriche en pleine nuit en laissant ma petite sœur derrière nous. Elle n’avait qu’un an et a vécu cinq ans avec mes grands-parents. Ils se sont ensuite envolés pour l’Amérique. Mes parents me poussaient très fort, à la Hongroise. J’ai fait les jeux olympiques de la jeunesse avec mon équipe de water-polo. Je jouais aussi quand j’étudiais à Columbia. On a gagné le championnat. Mon père avait une petite entreprise. Il faisait du plastique : des verres, des cuillères. Ma mère gérait les comptes. Ce n’était pas une grosse boîte, mais il a dû avoir dix employés et ça marchait plutôt bien. Ils ont atteint la classe moyenne et ont vécu une forme du rêve américain. Puis mon père est mort. 

Que pensait-il du transhumanisme ?

Ma mère est catholique et voit le transhumanisme comme un moyen de surmonter la douleur et la souffrance. Mais elle ne veut pas vivre pour toujours, parce qu’elle croit en l’au-delà. Elle croit que quelque chose de meilleur l’attend. Mon père, lui, était athée. Il aurait aimé que ça fonctionne. Il a eu quatre crises cardiaques et est mort de la cinquième. Il savait que c’était la fin et il ne voulait pas mourir. Il a eu une vie plutôt sympa et a bien profité de sa retraite. J’ai proposé de payer pour le cryogéniser mais ça ne l’intéressait pas. Pour lui, le transhumanisme était très réel, mais il n’y croyait pas tant que ça. Alors que si je savais que j’étais en train de mourir, je me ferais très probablement congeler. 

Vous souvenez-vous de la première fois que l’on vous a expliqué ce qu’était la mort ? 

Je ne pense pas… Mais j’ai toujours fait des rêves apocalyptiques. Je suis quelqu’un qui se réveille et imagine la fin du monde. Mon esprit fonctionne ainsi. Peut-être parce que mes parents ont fui les Russes. Après, ils se méfiaient des Russes, mais aussi des Américains. Et de tout le monde. Quand tu vis dans une tyrannie, tu deviens comme ça.

« Ça ne valait pas le coup de risquer de mourir juste pour une bonne histoire. »

Alors vous souvenez-vous de la première fois que vous avez compris ce qu’était la mort ?

C’est une bonne question à laquelle je n’ai jamais pensé… (Il réfléchit). Quand j’avais 18 ans, j’étais dans l’Idaho pour faire du snowboard et les amies d’un ami ont été tuées dans un accident de voiture. J’étais jeune mais je me revois en train de regarder leurs corps dans leurs cercueils ouverts. Elles avaient l’air normal. Tu ne pouvais pas voir qu’elles avaient été blessées durant l’accident. J’avais envie de les toucher et de leur dire de se réveiller. Ça a eu un impact. Il se trouve qu’elles étaient jeunes et belles. Ce n’était pas la même chose que perdre en Hongrie un grand-parent à qui j’avais seulement parlé au téléphone. 

Comment avez-vous expliqué la mort à vos enfants ?

Je vis dans une banlieue à l’extérieur de San Francisco où il y a beaucoup d’arbres et d’écureuils. J’ai deux filles. Elles ont 11 et 8 ans. Quand elles étaient plus petites, j’allais courir et je les traînais dans un chariot. À chaque fois qu’un écureuil se faisait écraser par une voiture, je pointais l’écureuil mort et je disais : « Dead ! Dead ! Car, kill. Dead. » Je l’ai fait pendant des années. C’est comme ça que j’ai instillé le concept dans leur cerveau. Elles adoraient les écureuils, elles les trouvaient rigolos. Quand elles les voyaient morts, elles comprenaient que quelque chose de terrible leur était arrivé. C’est ainsi qu’a démarré leur fascination pour la mort. Ma femme se moque de moi. Elle trouve ça un peu bizarre, psychologiquement parlant. Mais pour quelqu’un qui, comme moi, voit en la mort la plus grande des tragédies ayant jamais existé, c’est important d’expliquer ce genre de choses aux enfants.

Photos Andi Hatch

Quand avez-vous découvert que vous vouliez vaincre la mort ? 

Le point de départ, c’est un papier sur la cryogénisation que j’ai lu quand j’étudiais à l’université de Columbia. Je devais avoir 20 ans. Je ne savais pas que de vrais scientifiques travaillaient là-dessus. J’ai découvert la cryogénie, puis les gens qui voulaient se régénérer avec des cellules souches, ceux qui voulaient s’uploader, tous ces trucs bizarres. J’ai réalisé que plein de gens avec des doctorats dédiaient leur vie à ça. Avant, vaincre la mort, je n’en n’avais entendu parler que dans des livres de science-fiction. D’un coup, je découvrais que c’était du sérieux. Pas seulement un fantasme de gamin. 

La peur de la mort est un élément clef de beaucoup de romans d’apprentissage. À quel point aviez-vous peur de la mort, en étant ado ?

J’avais très peur. Je faisais des courses de moto avec mon père, notamment dans le désert. C’était très dangereux. Ça me plaisait, mais je savais qu’en cas de mauvais tournant, je risquais de tomber d’une falaise et de mourir. Je rêvais aussi de devenir surfeur professionnel et je surfais sur de grosses vagues, dans des spots dangereux. Plus tard, j’ai aussi bâti ma notoriété en inventant le volcano boarding. Sur le premier volcan en éruption où j’ai surfé, il y avait plein de pierres tombales, de gens qui n’étaient même pas morts en surfant, mais seulement en étant venus voir le volcan exploser. Le volcan explose si vite que tu ne vois pas les pierres voler vers toi. Elles te transpercent directement. Il y a une vidéo en ligne sur laquelle tu peux voir de grosses pierres voler au-dessus de moi pendant que je surfe sur le volcan. Mais le moment de ma vie qui a eu l’impact le plus important, c’est quand j’ai failli marcher sur une mine.

C’était au Viêt-Nam, n’est-ce pas ?

Oui. Un mois après Columbia, j’ai décroché un job à National Geographic. J’ai effectué un tour du monde à la voile durant lequel j’ai raconté des histoires pour eux. Je savais que j’étais transhumaniste et que je voulais dédier ma vie à ça, mais j’étais occupé à couvrir la mort : ils m’ont envoyé sur plein de zones de conflit. C’était le meilleur moyen de se faire un nom : essuyer des tirs, passer du temps avec des soldats. La plupart des gens ne voulaient pas faire ça. Je me suis rendu notamment au Cachemire. Ça a lancé ma carrière. Et donc, une fois, je me trouvais au Viet Nam, pour une histoire sur des gens qui déterraient des mines pour en vendre le métal. On filmait et je me suis un peu écarté du chemin sur lequel on était. J’ai cru voir quelque chose de marrant à filmer et mon guide a vu quelque chose dans le sol que je n’avais pas vu. Il m’a taclé pour me dégager de là où j’allais marcher. D’abord, j’ai été choqué. J’ai posé un genou à terre. Ça faisait cinq jours qu’on filmait et c’était intense. Tu filmes ces mecs qui creusent le sol et démembrent des bombes. Dans la jungle. Tu risques de marcher sur une mine à tout moment. J’en pouvais plus. Et le dernier jour, voilà ce qui se passe. C’est comme si une bombe avait explosé dans ma tête. Je me suis dit que ça suffisait, que je ne ferai plus de choses aussi dangereuses. Ça ne valait pas le coup de risquer de mourir juste pour une bonne histoire. Je me suis dit que j’aimerais continuer à raconter ce genre d’histoires, sans risquer de mourir. Il fallait donc vaincre la mort. Après des années à couvrir des choses dangereuses, j’ai pensé qu’il était temps de mettre ma crédibilité au service du mouvement transhumaniste. J’ai donc écrit un roman : The Transhumanist Wager. C’était la première fois que quelqu’un disait que le transhumanisme n’était pas seulement un mouvement philosophique, mais aussi un mouvement d’activistes. Le transhumanisme, comme l’écologisme, a besoin d’activistes. Il faut manifester, se présenter à des élections, poser des problèmes. Ce n’est pas que de la science : c’est un mouvement social. 

« Souvent, quand un transhumaniste atteint un âge très avancé, il tend à perdre sa passion. Les très jeunes, eux, n’ont pas encore peur de la mort. C’est ceux au milieu, les plus motivés. Parce qu’ils se voient vieillir et ne veulent pas de ça. »

Vous vous êtes placé dans beaucoup de situations dangereuses, ce qui est paradoxal pour quelqu’un qui veut vivre pour toujours. Comment l’expliquez-vous ?

Le truc, c’est que pour vouloir vivre pour toujours, il faut vraiment aimer la vie. Le résultat de cet amour pour la vie, c’est que tu fais des choses folles. Peut-être que je devrais faire plus attention. ESPN m’a demandé de retourner pratiquer le volcano boarding. Mais j’ai une famille, maintenant et c’est une terrible façon de mourir. Sur une île, au milieu de nulle part…

Vouloir vivre pour toujours, ce n’est pas vouloir mourir le plus vieux possible dans les conditions actuelles. C’est une approche différente, n’est-ce pas ?

C’est très différent, oui. Ça veut dire que tu veux vivre maintenant, tout de suite, à l’âge que tu as et pour toujours. Qu’à cette seconde précise, tu aimes suffisamment la vie pour que ça ne te dérange pas que cela se perpétue encore, encore et encore. Mon père a eu une bonne vie. Il était heureux à la fin mais il avait eu son compte. Il était vieux, obèse, son cœur fonctionnait mal, ses enfants étaient heureux, ils avaient eux-mêmes des enfants. Il n’avait plus beaucoup de raisons de rester. Son corps qui tombait en ruines ne lui donnait plus envie d’être là. C’est ce qu’il me disait : « J’ai 73 ans et j’ai fait ce que j’avais à faire sur la Terre. Ça suffit. » J’ai 49 ans et je ressens les choses très différemment. Je veux être là pour aussi longtemps que possible, ce qui veut donc dire pour toujours. Mais peut-être que si j’étais malade, je penserais différemment. Souvent, quand un transhumaniste atteint un âge très avancé, il tend à perdre sa passion. Il pense que combattre la mort est une cause perdue. Les très jeunes, eux, n’ont pas encore peur de la mort. C’est ceux au milieu, les plus motivés. Parce qu’ils se voient vieillir et ne veulent pas de ça. 

Quand on boit un whisky de trop, on se dit que la science me sauvera. Croire au transhumanisme, c’est aussi faire tomber des barrières mentales et se permettre de s’amuser un peu plus ?

Je bois du whisky tous les soirs. Il ne s’agit pas seulement d’aimer la vie, mais aussi d’en jouir, d’en profiter pleinement. Mon père aimait la vie, le miracle d’exister, mais je ne sais pas s’il arrivait encore à en jouir. Il ne pouvait même plus marcher jusqu’à la boîte aux lettres. Convaincre les gens que l’on doit vaincre la mort, c’est d’abord les convaincre qu’ils pourraient être en bonne santé pour des millions d’années. Beaucoup de gens ne sont pas heureux de leur vie. Ils le sont assez pour continuer à vivre, mais pas pour aller au-delà de 80 ans. 

Vous vous êtes présenté à l’élection présidentielle américaine en 2016. J’ai lu que vous avez annoncé votre candidature à votre épouse en laissant un post-it sur votre frigidaire. C’est vrai ?

Oui ! Je crois que j’ai encore le post-it quelque part. La campagne part de mon livre. Le personnage principal, Jethro Knight, cherche à montrer que le transhumanisme n’est pas juste de la science, mais aussi une croyance dans la possibilité d’un monde scientifique. C’est dépasser l’époque de TikTok, des sitcoms et du vernis à ongles, et arriver à celle de Star Trek, de l’exploration de nos corps et du système solaire. C’est se demander ce que la race humaine peut devenir. Améliorer notre intelligence. Le transhumanisme, c’est bien plus que l’idée de se transformer à travers la science. C’est un style de vie, comme l’écologisme. C’est un mouvement culturel. Je ne pensais pas gagner les élections. Tu ne peux pas devenir président sans des millions de dollars. Mais les gens étaient en colère. Ils voulaient quelque chose de nouveau. C’était un bon moment pour présenter ma candidature. Avant ma campagne, environ 5 milliards par an étaient consacrés à la recherche sur l’extension de la vie. Aujourd’hui, c’est quelque chose comme 225 milliards. Je pense que ma campagne a donné une visibilité sans précédent à l’extension de la vie et doit avoir quelque chose à voir avec le fait que de gros noms de la tech aient décidé d’investir sur le sujet. Les gens se sont dit : « L’important, ce n’est pas ce fou, c’est ce qu’il nous dit. Il a raison : si en tant que société on tend vers ce but, qu’on y investit assez de ressources, on peut vaincre la mort. » Les gens voyaient que je n’étais pas une personne bizarre, mais un type qui travaillait avec des scientifiques légitimes. 

Photos Andi Hatch

La partie la plus médiatique de votre campagne est le voyage que vous avez entrepris de la baie de San Francisco aux Florida Keys à bord d’un bus en forme de cercueil. Comment vous est venue cette idée ? 

On avait bien besoin d’un bus de campagne ! Au début, pour attirer l’attention, je voulais un bus en forme de microscope. Mais il se serait détruit au premier pont. Alors j’ai pensé à un cercueil. On a récolté 23 000 dollars et on l’a fait nous-mêmes. C’était facile. 

Dans un article publié par le Huffington Post en 2015, vous écriviez que « la science autour de la longévité radicale est réelle. De récentes études conduites sur des souris ont montré que le vieillissement peut être ralenti, arrêté et fort probablement même inversé ». Où en sommes-nous, en 2022 ? 

Malheureusement, j’étais bien plus optimiste à cette époque. Il y a dix ans, plusieurs études s’avéraient positives pour le mouvement d’extension de la vie. Les tests étaient bons, mais on ne pouvait faire vivre les souris que 10 à 15 % plus longtemps. Pas trois à quatre fois plus longtemps. C’est insuffisant. On va avoir besoin de plus que de certaines substances chimiques. Il va falloir une révolution. Que ce soit à travers l’impression d’organes 3D ou un traitement des cellules souches différent, par exemple. La route est longue, mais des centaines d’expériences sont actuellement en cours dans le monde. Je pense toujours qu’on y arrivera. Mais je ne suis pas sûr que ce sera à temps pour moi. Alors qu’avant, j’en étais convaincu. Mon père est mort à 73 ans. Là, sans de grandes avancées, ça va être juste. C’est une course. Mes enfants s’en sortiront. Vous aussi d’ailleurs, vous êtes plus jeune que moi.

Vous avez écrit que l’un des obstacles au transhumanisme est toutes ces personnes qui sont contre l’idée « d’arrêter la mort biologique et le vieillissement grâce à la science ». Ils pensent que c’est contre l’ordre naturel des choses. Vous les appelez les deathists, « ceux qui acceptent le fait que la mort est un sort désirable. » Pourquoi y-a-t-il tant de deathists ?

En Amérique, 65 % des gens sont chrétiens. Pour eux, Jesus va les emmener au paradis. Ils ont été programmés pour croire ça et ils ne veulent pas être convaincus d’autre chose. Ailleurs, il y a des gens dont l’amour de la vie n’est pas assez fort pour qu’ils veuillent vivre pour toujours. Comme mon père. C’était un deathist. On doit donc faire en sorte que les gens aiment vraiment la vie. Mais c’est dur. Certains sont pauvres, certains ont faim, certains divorcent et leurs familles se brisent. Ils souffrent. Beaucoup de raisons font que les gens peuvent être malheureux. Si tu es malheureux, tu ne veux fondamentalement pas rester en vie trop longtemps. Les deathists n’ont pas tort. Ils ne sont seulement pas suffisamment satisfaits de leur existence. C’est pour ça que j’ai fait campagne pour instaurer un revenu universel : afin que les gens soient suffisamment heureux pour pouvoir s’imaginer continuer à vivre pendant 10 000 ans.

Vous vous êtes aussi plaint du personnel politique américain. Pour vous, il est très religieux et croit en l’au-delà. Ce qui freine les investissements. C’est à cause de la religion que nous ne sommes pas encore immortels ?

C’est à cause de la religion que l’on n’investit pas plus. La religion est soudée dans le système. On dépense beaucoup plus pour des bombes que pour des choses qui peuvent rendre les gens heureux, comme un meilleur système de santé ou la recherche sur le cancer. Si on avait au Congrès des gens qui pensent comme moi, qui dépenseraient de l’argent pour nous-mêmes, nous serions bien plus heureux en tant que pays.Déjà, ce serait bien de ne pas former les cerveaux des enfants avec les concepts d’enfer, de paradis, de péchés. J’ai été scolarisé dans une école catholique et si c’est la pagaille dans mon esprit, qu’il y a toutes ces histoires de mort, c’est à cause de ça. On m’a dit que si je faisais quelque chose de mal, je brûlerais en enfer pour l’éternité. L’éternité, c’est long ! Et brûler, c’est horrible. On te dit ça à 6 ans ! Ce serait mieux qu’on nous enseigne des choses raisonnables à la place. On comprendrait alors que le deathism n’est pas bien sage. On peut avoir des vies dans lesquelles on s’amuse. Le monde doit être exploré et chéri.

L’une des critiques du transhumanisme est que l’on a déjà détruit cette planète et qu’on ne peut pas continuer ainsi, puis passer à la prochaine planète et la détruire aussi. Que répondez-vous à cela ?

Je ne nie pas que les humains ont abîmé la planète. La destruction est visible. Mais ce qu’on oublie, c’est que nous sommes aussi sur le point de créer des intelligences artificielles et des moyens capables de restaurer la planète. Il y a de grandes chances que dans 15 ans, on puisse faire revivre des espèces. J’ai travaillé au Cambodge et on essayait de sauver des espèces en voie d’extinction en combattant le braconnage. Mais le meilleur moyen d’agir, c’est de faire pousser ces animaux dans des laboratoires et les lâcher dans la nature.

D’autres craignent une surpopulation…

Je pense que la planète a les moyens de gérer le nombre de gens actuellement sur Terre. Puis si on vit tous 10 000 ans, on attendra probablement un moment avant de faire des enfants. De plus, on va atteindre la phase du téléchargement de l’esprit. Peut-être que tu ne voudras plus être un être biologique. La biologie est fragile, elle attrape des cancers, c’est une bombe à retardement. Si tu t’upload, tu utilises moins de ressources. On aura peut-être des corps robotiques, tout en préservant nos corps biologiques dans la glace. Nos vies seront différentes. On ne mettra pas de l’essence dans la voiture pour aller au boulot tous les matins.

À quoi ressemblera le monde quand nous arrêterons de mourir ?

Nous serons entrés dans un âge transhumaniste. Quelque part, nous y sommes presque déjà. On aura plein de membres artificiels. Nos cerveaux seront connectés les uns aux autres. On aura cette conversation directement dans nos têtes, sans interface. Il y aura beaucoup de réalité virtuelle, de robotique. Les intelligences artificielles et les machines nous permettront d’élargir notre conscience. Elon Musk et Jeff Bezos explorent déjà l’espace. On fera beaucoup d’exploration stellaire. J’espère juste qu’une catastrophe ne tuera pas énormément de gens avant ce stade. Que ce soit un virus, un astéroïde ou une guerre mondiale. J’espère aussi qu’on ne laissera pas les riches trop dominer la planète, en faire un monde où les inégalités sont si prononcées qu’il devient une dystopie. Si les inégalités empirent, il y aura une révolution et ce n’est pas bon pour le transhumanisme. On ne veut pas des gens avec des fourches, on veut des gens heureux. Je veux que tout le monde puisse avoir des yeux ou un cœur artificiel. C’est une perspective très Star Trek : concentrons-nous moins sur l’argent et plus sur la valeur de la vie et le bonheur. 

À quel point avez-vous peur de la mort ?

La mort en tant que processus, les dix dernières secondes de la vie, pas tant que ça. Ce serait fascinant. J’aimerais bien savoir comment c’est. C’est ce qui arrive après, la finitude, qui m’ennuie. Ce qui me fait peur, c’est la non-existence. J’ai des enfants et je veux savoir ce qui va leur arriver. J’ai plein de projets. Ce serait une tragédie de ne pas pouvoir les compléter… Ce serait une tragédie philosophique de ne pas arriver à mes fins. Tous ces efforts et je ne serai plus jamais là ? Ce n’est pas de la peur. Ça m’irrite juste profondément, philosophiquement parlant, de penser que je pourrais traverser tout ce processus et perdre à la fin. Il y aurait de quoi être agacé…