Fin septembre, une compagnie de biotechnologie espagnole testait sur un patient un dispositif à base du matériau le plus fin au monde, le graphène, qui pourrait complètement transformer l’approche des troubles cérébraux.
Qu’il soit possible, de nos jours, d’éliminer 99% des tumeurs cérébrales ne rend pas une opération de ce type anodine pour autant. « Quand on doit retirer une tumeur, cette tumeur doit être réséquée sans affecter les zones fonctionnelles du cerveau, raconte Carolina Aguilar, co-fondatrice et CEO de la compagnie espagnole InBrain. Afin de ne pas compromettre la faculté de parler, par exemple. C’est là qu’intervient notre interface neurale. » C’est en partie pour éviter d’empirer la condition d’un patient venu pour aller mieux, qu’un ensemble de techniques regroupées sous l’appellation « cartographie du cerveau » se développe depuis les années 1960.
Jusqu’à présent, les opérations auxquelles fait allusion Carolina Aguilar ont été rendues possibles grâce à des dispositifs constitués de disques de platine ou de platine iridié enrobés d’un substrat de silicone. De par leur rigidité, ces électrodes présentent un risque d’inflammation et peuvent causer des cicatrices au cerveau. Des compagnies comme InBrain ou Neuralink, fondée par Elon Musk, travaillent donc à développer des implants à base de matériaux différents et plus adaptés… comme le graphène.
Plus fort que l’acier
Ce n’est qu’en 2004, à l’université de Manchester, que le graphène a pu être isolé et caractérisé pour la première fois. Pour ces travaux, le physicien néerlandais né en Union soviétique Andre Geim et son collègue russo-britannique Konstantin Novoselov furent récompensés du prix Nobel de physique en 2010. Rien que ça. « Le graphène, c’est du carbone, vulgarise Aguilar. Une fine couche d’atome de carbone. Cela vient du graphite, avec laquelle on fabrique la mine des crayons. C’est donc extrêmement fin mais deux-cent fois plus résistant que l’acier. » Le dispositif développé par InBrain fait la moitié d’un cheveu humain et parvient tout de même à contenir quarante-huit électrodes de vingt-cinq micromètres chacun.
Considéré comme le matériau le plus fin au monde, le graphène est donc aussi l’un des plus solides et permet, de par sa porosité, de capter des signaux que les électrodes actuelles – « dépassées », comme les décrit déjà Aguilar – sont incapables de saisir. « Nos dispositifs sont comme une deuxième peau, qui s’adapte totalement à cette surface qu’est le cerveau et sont capables de lire tous les marqueurs biologiques nécessaires au guidage du neurochirurgien. Cela permet une résection avec un très haut niveau de précision. »
Un neuro-chirurgien miniature
Fin septembre, toujours à l’université de Manchester, des chirurgiens ont ainsi testé l’implant d’InBrain sur le cortex d’un patient durant soixante-dix-neuf minutes. « Ils ont pu distinguer les tissus cancéreux des tissus sains avec une précision micrométrique », ajoute Carolina Aguilar. L’université du nord-ouest de l’Angleterre testera à nouveau le dispositif conçu par InBrain sur dix autres patients, grâce à un financement d’un milliard d’euros fourni par un consortium de recherche créé par la commission européenne qui organisait, cette semaine à Prague, une « semaine du graphène ».
Selon la firme espagnole, son produit permettrait le traitement d’une certaine quantité de problèmes de santé. « Les signaux cérébraux captés peuvent également être utilisés dans des cadres thérapeutiques, assure Aguilar. On pourrait créer des thérapies personnalisées pour un patient précis. C’est comme sortir un neurologue d’un hôpital pour le mettre dans la tête d’un patient. Qui pourra faire des diagnostics en temps réel. » Selon la cheffe d’entreprise, quelques étapes sont encore nécessaires à l’acceptation de son produit sur le marché. Mais elle paraît confiante. « On a prouvé la supériorité de notre produit, conclue-t-elle, fermement. Je peux vous dire qu’il sera commercialisé dans quelques années. Combien ? Je ne suis pas encore sûre. »
D’autant que de récentes découvertes imputées à la mission spatiale chinoise Chang’e 5 prouvent une présence abondante de graphène sur la Lune.