Que font ces télescopes sous la mer Méditerranée ?

Derniers ajustements avant le déploiement d’une ligne de détection KM3NeT sur le fond marin. © KM3NeT Collaboration
Derniers ajustements avant le déploiement d’une ligne de détection KM3NeT sur le fond marin. © KM3NeT Collaboration

Du fin fond de la Méditerranée, deux télescopes révolutionnaires regardent l’espace. Pourquoi ? Astrophysicienne au CNRS, Sonia El Hedri explique. 

Il fait très sombre, au fond de la mer. Sinon, à 3450 mètres de profondeur, au large du village sicilien de Portopalo di Capo Passero, un passant pourrait observer une vaste forêt de colossaux câbles plantés sur le plancher océanique grimper vers la surface sur une distance de 700 mètres. « À ces lignes, sont attachées et connectés 18 sphères, qu’on appelle des modules optiques, décrit l’astrophysicienne Sonia El Hedri. Si vous étiez sous l’eau, vous pourriez voir qu’ils sont composés de 31 petites composantes circulaires, qui sont des détecteurs de lumière très sensibles, qu’on appelle photomultiplicateurs. » 

Un petit espion cosmique 

Toujours en cours de développement, ce site, baptisé ARCA, fait partie du projet Cubic Kilometre Neutrino Telescope, ou, de son petit nom, KM3NeT, une infrastructure de recherche européenne qui héberge des télescopes à neutrinos sous-marins. Sonia El Hedri, qui a rejoint le projet en 2021 définit le neutrino comme « une des particules fondamentales qui constitue notre univers. C’est la plus légère des particules massives connues. » L’existence du neutrino a été postulée pour la première fois en 1939, par le physicien autrichien Wolfgang Pauli, prix Nobel de physique 1945. Des scientifiques du monde entier s’échinent, depuis, à découvrir ses propriétés exactes. « Le neutrino interagit très peu avec la matière, enchaîne l’experte. Il n’est donc pas lié dans les atomes qui nous constituent, C’est une particule qui peut voyager quasiment à sa guise dans l’univers. » Sur son chemin, le neutrino peut traverser, comme si rien n’était, un nuage de poussière comme une étoile. Pour les astrophysiciens, cette particule s’apparente donc à un messager, ou, comme le formule plaisamment l’experte : « un petit espion cosmique. »

Un bouclier

La principale raison d’être de KM3NeT est de détecter les neutrinos de haute énergie, « qui arrivent rarement sur Terre, comparé à des neutrinos venant d’autres sources. » C’est dans cette optique que construire des détecteurs sous l’eau est utile. « Si on mets l’observatoire en haut d’une montagne, on va détecter plein de particules venant de l’espace qui ne nous intéressent pas, explique El Hedri. En plaçant le détecteur au fond de la mer, on peut être sûr que la plupart de ces particules vont être absorbées. » La mer agit comme une sorte de filtre. « Ou de bouclier, complète El Hedri. Il existe des détecteurs de neutrinos souterrains pour la même raison. » Quand le neutrino interagit dans la matière, il produit des particules chargées électriquement. Si elles vont assez vite, elles produisent une émission de lumière, dont la couleur oscille entre le bleu et l’ultra-violet. C’est ce qu’on appelle l’effet Tcherenkov, ou Vavilov-Tcherenkov, du nom des physiciens russes Sergueï Vavilov et Pavel Tcherenkov. « Rien ne peut aller plus vite que la lumière dans le vide, développe la scientifique. En revanche, quand une particule voyage dans un milieu qui n’est pas le vide, comme l’eau, elle peut des fois dépasser la lumière et, dans ce cas, émettre une lumière. En fait, on ne détecte pas les neutrinos eux-même, mais la lumière émise par les produits d’interaction de ces neutrinos. »

Des gouttes de pluie

Le site d’ARCA, et son frère baptisé ORCA, au large de Toulon, présentent les deux plus grands détecteurs de neutrinos jamais construits sous l’eau. Le 12 février, le télescope sicilien annonçait la découverte d’un neutrino avec une énergie de 220 pétaélectronvolts. « Ce n’est pas très parlant, comme ça, sourit la scientifique. C’est 0.03 joules, en fait. Alors j’ai calculé des comparaisons : c’est l’énergie synthétique d’une balle de ping-pong lancée à une hauteur de un mètre. » Dans une vidéo de présentation sur les réseaux sociaux du CNRS, Sonia El Hedri ajoutait deux comparaisons : l’énergie du vol d’une libellule ou de celle des gouttes de pluie. « Et tout ça, ce sont des objets, ou des êtres, constitués de milliers de milliards de milliards de molécules ! Alors que là, on a une particule élémentaire qui transporte la même quantité d’énergie. » L’étude des neutrinos pourrait révolutionner la compréhension des lois fondamentales qui régissent le comportement des particules.