Alors qu’en octobre prochain seront célébrés les 170 ans de sa naissance, la ville de Charleville-Mézières et la société Jumbo Mana, ont mis au point un avatar du poète Arthur Rimbaud, mort à 37 ans en 1891, via une IA générative conversationnelle. De quoi attirer un nouveau public… et exaspérer les plus initiés.
Dans le cadre de la Nuit Européenne des Musées, évènement proposant un accès libre et gratuit aux musées ce samedi 18 mai de 19h à minuit, la ville de Charleville-Mézières s’est associée à une entreprise spécialisée dans l’IA générative pour créer un jumeau numérique du poète Arthur Rimbaud. Une expérience au croisement de la littérature, de l’histoire et des nouvelles technologies, dont l’objectif est de permettre de faire découvrir à un nouveau public la vie du poète qui révolutionna l’écriture avant de l’abandonner.
Car qui n’a jamais rêvé d’échanger avec le poète français le plus énigmatique ? Depuis près de 150 ans, rimbaldiens et historiens courent après le moindre des indices pour comprendre l’œuvre d’Arthur Rimbaud, et pourquoi, à seulement 20 ans, devenu « maître du silence », il a décidé d’arrêter la poésie après l’avoir changée à tout jamais en seulement deux ouvrages, Les illuminations, Une saison en enfer, et quelques poèmes de jeunesse.
4 000 passionnés
Preuve de l’intérêt que le poète suscite encore aujourd’hui, sur Facebook, ils sont pas moins de 4 000 passionnés à échanger quotidiennement via un groupe privé nommé « Les Rimbaldomanes ». Découvertes récentes de photographies, anecdotes et opinions sur « l’homme aux semelles de vent », tout est passé au crible et commenté. Parmi eux, un artiste graphiste s’amusait récemment à générer des images par intelligence artificielle d’un Arthur Rimbaud fantasmé, jeune et beau comme sur la photo d’Etienne Carjat prise en 1871.
Mais peu d’images de Rimbaud existent, et certaines, découvertes au hasard dans des vides-greniers, continuent d’interroger les experts du monde entier sur leur authenticité. Trois portraits, pris par lui-même lors de son séjour en Éthiopie, à Harar et à Aden, entre 1880 à 1890, font cependant l’unanimité. On y voit un homme très différent des clichés de sa jeunesse, visage émacié, le teint sombre, portant une tenue colonialiste. Dans une lettre qu’il écrit à ses proches, le 6 mai 1883 accompagnant ses clichés, il écrit : « Ces photographies me représentent, l’une, debout, sur une terrasse de la maison… l’autre, debout dans un jardin de café, une autre, les bras croisés dans un jardin de bananes. ».
Attirer un nouveau public
C’est sur la base de ces images, dernières représentations connues du poète en Afrique, qu’une intelligence artificielle générative conversationnelle créée par la société Jumbo Mana, a permis d’élaborer un avatar interactif d’Arthur Rimbaud. Non l’adolescent incandescent de 17 ans qui a changé la poésie à tout jamais, mais l’aventurier, le voyageur infatigable. Celui, dont le silence a contribué au fil des décennies à en faire une énigme à part entière.
Ce jumeau numérique, présenté ce samedi 18 mai au grand public dans la Maison des Ailleurs, immeuble où le poète a vécu et situé à Charleville-Mézières, dans les Ardennes, a été conçu dans l’optique d’attirer un public non initié, afin qu’il puisse lui poser directement des questions. Dans son magazine municipal, la ville l’explique ainsi : « Ce n’est pas avec l’adolescent de 17 ans que le visiteur pourra dialoguer mais avec un homme n’écrivant plus de poésie, devenu explorateur… Le jumeau numérique présentera un visage méconnu du poète âgé d’une trentaine d’années. »
Brouiller les pistes
L’entreprise Jumbo Mana, basée dans la banlieue de Strasbourg, également à l’origine d’un avatar du peintre Vincent Van Gogh, a dévoilé dans une vidéo de démonstration à quoi ressemblera ce double virtuel. On l’y voit répondre à des questions simples sur sa vie, comme celles que l’on trouverait sur Wikipédia. Sur leur groupe Facebook les Rimbaldomanes, les passionnés n’ont pas tardé à réagir, critiquant la qualité visuelle de cet avatar, et le contenu des réponses. « Ça fait vraiment pas envie : on dirait Poutine s’apprêtant à envahir l’Ukraine », ou encore, « Si seulement on pouvait lui foutre un peu la paix.. » pouvait-on lire.
Si l’expérience ne permettra sans doute pas aux plus initiés d’avoir des réponses aux questions qui les taraudent depuis plus d’un siècle, ni d’en savoir d’avantage sur les motivations qui l’ont poussé à déserter la vie littéraire à 20 ans pour mener une vie ascétique au fin fond de l’Éthiopie, elle pose les premiers jalons d’une technologie qui, dans les années à venir, pourrait brouiller les pistes du réel et du virtuel. Rimbaud ne disait-il pas que « la vraie vie est absente » ?