Viginum, le service de l’État dédié à la vigilance et la protection contre les ingérences numériques étrangères, publiait un rapport le 12 février 2023 sur un vaste réseau de 192 sites internet nommé Portal Kombat, dédiés à la propagande pro-russe. Si en France, contrairement aux pays voisins, leurs audiences sont très faibles, ils sont toutefois incontrôlables.
Pendant quatre mois, de septembre à décembre 2023, les agents de Viginum, service dédié à la lutte contre l’apparition à grande échelle de sites de désinformation, ont épluché le contenu de 193 d’entre eux provenant d’un même écosystème nommé Pravda. Ils y ont trouvé un contenu visant à orienter l’opinion public en faveur de l’action militaire du Kremlin en Ukraine.
D’abord, la majorité de ces sites, créés en 2013, avaient pour cible des audiences russes et ukrainiennes, avant d’être rendus inactifs. Mais entre le printemps et l’hiver 2022, une quarantaine a refait surface, nommés « news.ru » et ciblant « des localités très précises et stratégiques à l’image de Kherson ou Marioupol » en Ukraine, en plein conflit. D’autres sites, nommés « Pravda », avec pour chacun une extension de domaine correspondant à son pays cible (l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, la Pologne, l’Espagne, le Royaume-Uni), ont été créés en juin 2023. Ils appartiennent à la même infrastructure numérique que ceux créés dix ans plus tôt, selon Viginum.
Détournements
En France, c’est sous le nom de domaine de pravda-fr.com que ce réseau diffuse du contenu pro-russe orienté idéologiquement en faveur d’un soutien de l’action militaire du Kremlin en Ukraine, et qui expose « des narratifs manifestement inexacts ou trompeurs, et concernant le portail ciblant la France, participe directement à polariser le débat public numérique francophone », explique dans son rapport Viginum. Ces sites à la charte graphique et l’adresse IP commune hébergée sur un serveur localisé en Russie, ont une ligne éditoriale identique.
Parmi les articles et vidéos, on y trouve de nombreux détournements sur l’annonce d’Emmanuel Macron à propos d’éventuels envois de troupes au sol sur le front ukrainien, sur l’orientation sexuelle du Premier ministre Gabriel Attal, ou encore une liste factice de 13 mercenaires français envoyés à Kharkiv au moment d’une frappe russe. Ces articles sont majoritairement alimentés par des comptes d’acteurs russes ou pro-russes sur les réseaux sociaux, voire d’agences de presse directement liées au Kremlin.
Automatisation peu rigoureuse
Leur diffusion, massivement automatisée, ainsi que l’optimisation du référencement sur les moteurs de recherche via une promotion SEO (selon certains mots clés, les articles parviennent à remonter en tête des pages Google), ne permettent pour l’instant pas une grande audience, toujours d’après Viginum. L’automatisation, « peu rigoureuse », démontrerait l’utilisation de logiciels de traduction automatique, voire des oublis en alphabet cyrillique.
Les sites dénommés Pravda ont notamment publié 152 000 articles entre juin et septembre, cumulant seulement 10 700 visites en novembre 2023 sur la version française pravda-fr. Les version anglophones et espagnoles connaissent cependant des audiences plus élevées, avec respectivement 36 700 et 55 000 visites sur la même période.
RT et Sputnik
Mais la vigilance reste accrue du côté de Viginum, qui précise que « compte tenu de ses caractéristiques techniques, des procédés mis en œuvre ainsi que des objectifs poursuivis, ce réseau constitue une ingérence numérique étrangère ». Reste à savoir ce qu’il adviendra de ces sites. Au lendemain de la publication du rapport, plusieurs canaux de diffusion d’articles provenant de ces sites auraient été censurés par la messagerie instantanée Telegram… avant que d’autres ne soient créés dans la foulée.
En France, la législation permet de fermer n’importe quel site internet hébergé sur le territoire, comme c’était le cas en 2022, peu après l’invasion russe en Ukraine, avec le site RT France (Russia Today), ainsi que celui de Sputnik, financés par le Kremlin. Pour ceux hébergés à l’étranger comme les sites du réseau Portal Kombat, ils peuvent être rendus inaccessibles à la plupart des internautes mais restent consultables avec une configuration informatique plus ouverte. Avec la montée en puissance des vidéos deepfake et de l’intelligence artificielle, la guerre de l’information a de beaux jours devant elle.