Les dumbphones pourront-ils écarter les adolescents des réseaux sociaux ?

"42 % des 11-14 ans reconnaissent que l’impact des réseaux sociaux sur eux serait plutôt négatifs."
"42 % des 11-14 ans reconnaissent que l’impact des réseaux sociaux sur eux serait plutôt négatifs."

Une chute de la fréquentation des réseaux sociaux chez les moins de 13 ans ouvre la porte à un nouveau marché pour les fabricants : des téléphones bridés appelés dumbphones. Le début de la fin pour TikTok, Instagram, et Snapchat ? Pour Cyril di Palma, Délégué général de l’association Génération numérique, la réalité est plus nuancée.

Ce mardi 30 avril, Emmanuel Macron recevait en main propre un rapport émanant d’un groupe d’experts sur les moyens d’encadrer l’usage des écrans chez les plus jeunes. Il préconise des mesures radicales, dont l’interdiction d’écran avant 3 ans, et une accessibilité aux réseaux sociaux à partir de 15 ans sous la vigilance des parents, comme l’indiquait un texte de loi adopté en juillet 2023. Ce rapport n’est pas sans rappeler les nombreuses campagnes gouvernementales et associatives qui tentent depuis quelques années d’alerter sur les dangers de l’exposition des plus jeunes aux réseaux sociaux, dont le harcèlement en ligne et les comportements addictifs. Mais qu’en est-il réellement du temps passé par les plus jeunes sur leur téléphone ?

14 minutes de moins

Une étude récente de l’agence Heaven et de l’association Génération numérique est plutôt rassurante en la matière. Ainsi, les moins de 13 ans seraient aujourd’hui 71 % à utiliser régulièrement au moins une application sociale, alors qu’ils étaient 86 % en 2022. Les chiffres de fréquentation des réseaux sociaux comme Snapchat, TikTok, Instagram ou WhatsApp – directement liés aux smartphones – seraient également en baisse, avec 1h49 d’utilisation quotidienne, soit 14 minutes de moins qu’en 2022.

Pour Cyril di Palma, délégué général de l’association Génération numérique, cette diminution de temps passé sur les réseaux par les plus jeunes est surtout le résultat de campagnes négatives dans le paysage médiatique à destination des parents. « Pour la première fois depuis 15 ans, on remarque un recul des parents sur l’équipement de leurs enfants en téléphone, explique-t-il. Une offre alternative de téléphones à neuf touches permet aussi de réduire leur temps passé sur les réseaux sociaux ». Car dans le sillage de cette tendance à la détoxification aux smartphone, les fabricants ont flairé un nouveau marché, celui des dumbphones.

Téléphones stupides

« Dessiné pour être utilisé le moins possible. » Ce slogan totalement disruptif s’affiche sur la page d’accueil du site de la start-up The Light Phone, née à Brooklyn. Le premier modèle de ses inventeurs Joe Hollier et Kaiwei Tang, originaires de Brooklyn, au design minimaliste plus proche de la calculette high tech que du smartphone, vient bousculer les codes de l’industrie de la téléphonie qui se livre une guerre sans merci pour concurrencer Apple, à base de surdose de pixels et de fonctionnalité en tout genre.

Chez The Light Phone, pas d’applications ni de réseaux sociaux, de Cloud, de Bluetooth, de QR code… juste un téléphone pour appeler et accessoirement recevoir des messages, et dont le dernier modèle est vendu 350 euros. La clientèle visée : des trentaines et quarantenaires urbains désireux de se détoxifier de leurs scrolls compulsifs et pour qui la fonctionnalité « temps d’écran » proposée par Apple est trop facile à désactiver.

Mais d’autres alternatives moins coûteuses visent une clientèle plus jeunes. Aux États-Unis, rapporte le New Yorker, Will Stults et Daisy Krigbaum, entrepreneurs californiens, ont senti le potentiel de ce marché des « dumbphones » – téléphones stupides – en créant leur société spécialisée dans la vente en ligne de ce type d’appareil, appelée Dumbwireless. On y trouve les derniers modèles des fabricants dont le Punkt MP02 aux faux airs d’Iphone mais dont les constructeurs suisses vantent une meilleure protection des données privées, ou le Nokia 2780, vendu entre 70 et 100 euros sur le marché français. Alors que la détoxification se faisait encore récemment via d’anciens modèles de téléphone, l’apparition de nouvelles marques spécialisées ne fait plus aucun doute sur l’engouement que ces objets suscitent.

Libre accès 24h/24

Mais sont-ils suffisamment attrayants pour séduire les adolescents ? Car si ces derniers passent moins de temps sur les réseaux sociaux qu’avant, ce n’est pas totalement de leur fait. « C’est paradoxal, explique Cyril di Palma. Notre étude montre que 42 % des 11-14 ans reconnaissent que l’impact des réseaux sociaux sur eux serait plutôt négatifs. Ils en ont donc conscience, mais malgré tout, on voit très bien que ce sont les parents qui ont mis un frein. Mais pour les 2/3 de ces enfants, en realité, ils ont un libre accès à internet et font ce qu’ils veulent de leur téléphone. » 57 % de ces 11-14 ans aurait un appareil numérique dans leur chambre en permanence, consultable à tout moment de la journée et de la nuit.

L’étude de l’association Génération numérique, effectuée sur près de 9000 élèves d’établissements scolaires, mais aussi en lumière une autre donnée, plutôt instructive. « On s’aperçoit aussi qu’une partie des jeunes interrogés reprochent eux-mêmes à leurs parents de passer trop de temps sur leur téléphone. La boucle est bouclée, quand on sait qu’ils adoptent un comportement en adéquation avec leurs modèles. » Une nouvelle étude publiée en septembre prochain par l’association devrait apporter plus d’éclairage.