Dans Les champignons de l’apocalypse, son dernier livre, le Dr. Audrey Dussutour a imaginé une pandémie provoquée par un champignon parasite, inspirée par The Last of Us, la grande série télévisée du moment. Directrice de recherche au CNRS, elle est également spécialiste des fourmis et du blob, un organisme qu’elle a elle-même baptisée en référence à un film d’horreur des années 50.
Dès la fac de bio, vous vous êtes spécialisée dans l’éthologie, l’étude du comportement des animaux. Comment est née cette vocation ?
Audrey Dussutour : J’ai toujours été intéressée par la biologie. À la fac, on a ce qu’on appelle des syllabus, des petits cahiers qui sont comme des menus de restaurants. Quand j’étais en troisième année, l’un d’eux proposait un module du nom d’éthologie. La description disait : « cours consacré à l’étude du comportement des animaux. » Je me suis dit : « ah, en fait, ça existe… » Au lycée, les conseillers d’orientation ne parlent pas de ça ! Il y a plein de métiers dont on ne nous parle pas, au lycée… Bref, le premier cours était génial. Le professeur était un ponte de l’éthologie. J’ai tout de suite été emballée. Je voulais étudier les animaux, mais pas faire d’expérimentation animale, d’opérations, de choses comme ça. J’en vois tout à fait l’intérêt, mais j’ai tendance à m’attacher aux organismes sur lesquels je travaille. Avoir à les sacrifier, ce n’est pas pour moi. J’ai donc fait un master de neurosciences et d’écologie, en même temps. Puis un doctorat d’éthologie ! Mon sujet d’étude était les fourmis.
C’est le premier animal que vous avez souhaité étudier ?
Non, c’était les abeilles. Mais ça s’est arrêté très vite, parce que j’étais allergique ! Après un tour à l’hôpital, j’ai bifurqué vers les fourmis. Comme chez les abeilles, ce qui me plaisait chez elles, c’est qu’elles fonctionnent via un système d’intelligence collective. Ce qui m’intéressait, c’est comment ces systèmes d’intelligence distribuée fonctionnent. Je travaille donc sur les fourmis depuis l’an 2000 et je ne m’en lasse jamais. Il y a une diversité d’espèces incroyable. J’avais d’ailleurs co-écrit un livre, L’Odyssée des fourmis, dans lequel 80 espèces étaient étudiées. Les gens trouvaient ça super alors, qu’en fait, il y en a 13 000… Il y en a encore plus chez les champignons. Il a fallu faire des choix.
C’est l’étude des fourmis qui vous a mené à celle des champignons ?
Oui. Ma collègue de bureau, Enikő Csata, est une spécialiste des champignons qui infectent les fourmis. À notre rencontre, je travaillais beaucoup sur la nutrition des fourmis. On s’est demandé comment le fait d’être infecté par un champignon affectait les besoins nutritionnels des fourmis.
Dans Les Champignons de l’apocalypse, il est en partie question de parasites qui manipulent le comportement de leur hôte, comme les ophiocordyceps, qui ont inspiré les cordycepts de la série The Last of Us. En quoi les champignons de la série diffèrent-ils de ceux du livre ?
Déjà, les ophiocordyceps unilateralis sont uniquement spécialisés dans le parasitisme de certaines espèces de fourmis. Il ne pourrait pas faire le saut jusqu’à l’humain. Ce n’est pas crédible. Dans mon livre, qui est en partie une fiction, j’essaie d’être plus proche de la réalité, même si on reste dans l’improbable. Dans la série, les gens attrapent les champignons par morsure… Comme la rage ! Évidemment, dans la réalité, on n’attrape pas de champignons ainsi. Ce qui est magique chez ces champignons, c’est la fructification, qui arrive derrière la tête et tue l’hôte. Quand le champignon fructifie, la fourmi est déjà morte. On ne le voit apparaître qu’une fois qu’elle est morte. Alors que dans la série, quand le champignon fructifie, les hôtes sont encore vivants, ce qui n’est pas possible. Quand le champignon tue la fourmi, il émerge au niveau de la nuque et fait une tige, de trois à quatre centimètres de haut. À l’échelle humaine, ce serait en mètres. C’est intéressant, mais ils n’ont pas utilisé ça dans la série non plus.
C’était peut-être un peu too much ?
Non ! Moi, je trouve ça cool. La réalité n’a rien à envier à la fiction… Pour la petite histoire, on m’a contacté plein de fois à propos de The Last of Us parce que le cordycepts s’y déplace comme un blob… Ils avaient besoin de le voir se déplacer alors que dans la réalité, il reste confiné dans l’hôte.
Qu’est-ce qu’un blob, exactement ?
C’est un organisme unicellulaire, assez proche des animaux et des champignons, mais qui a divergé avant. Et qui est beaucoup plus vieux que les animaux et les champignons ! Il ressemble à une omelette. Il se déplace, il est visqueux et beaucoup plus fragile qu’un champignon. Je l’ai nommé ainsi d’après The Blob, un film avec Steve McQueen. Mais c’est entré dans le dictionnaire ! On a le droit de l’employer.
Quelle utilité vos recherches sur les champignons pathogènes ont-elle dans le monde concret ? Que peuvent-elles apporter au monde ?
C’est toujours intéressant de connaître les relations entre des êtres vivants dans des écosystèmes donnés. Surtout si ces écosystèmes sont stressés, comme actuellement. Dans le livre, il y a un chapitre sur le metarhizium. C’est un champignon généraliste, qui s’attaque aux insectes. Il ne manipule presque pas leur comportement, mais il les tue. Ils les transforment en petites forêts vertes. Il se trouve que c’est un champignon qui est beaucoup utilisé dans l’agriculture pour tuer les ravageurs. Dans des champs de canne à sucre au Brésil, par exemple, c’est un des produits principaux utilisé pour lutter contre les insectes.
Le message que je voulais véhiculé est aussi que le responsable de toutes les grandes catastrophes fongiques récentes, comme la perte du châtaignier aux Etats-Unis ou la disparition d’énormément de chauve-souris dans le même pays, sont dues aux humains. C’est nous qui trimballons ces champignons partout. Je voulais sensibiliser les gens là-dessus. Certains s’agacent, parfois, qu’on leur fasse nettoyer leurs chaussures à la douane. Mais c’est vital de faire ça. Les champignons peuvent avoir des côtés négatifs, mais c’est souvent nous qui en faisons des champignons de l’apocalypse.