Au CERN, un nouvel accélérateur de particules gigantesque ne fait pas l’unanimité

Le Grand collisionneur de hadrons (Large Hadron Collider ou LHC) au CERN à Genève. © CERN
Le Grand collisionneur de hadrons (Large Hadron Collider ou LHC) au CERN à Genève. © CERN

Sous les Alpes franco-suisses, le CERN prévoit de construire un nouvel accélérateur de particules, trois fois plus grand que le Large Hadron Collider. Un projet pharaonique à 15 milliards d’euros d’ici à 2045 qui divise les scientifiques et interpelle les écologistes. 

Où est passée l’antimatière, la contrepartie de toute matière, depuis le Big Bang ? Qu’est-ce que la matière noire, ce surplus de gravité qui maintient les galaxies entre elles ? Pourquoi les neutrinos ont-ils une masse non-nulle ? Les physiciens du monde entier se posent en vain ces questions depuis des décennies, mais ne désespèrent pas de trouver une réponse un jour à ces questions fondamentales sur la formation de notre univers. Pour ce faire, le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) envisage de construire un nouvel accélérateur de particules, trois fois plus grand que le Grand collisionneur de hadrons (Large Hadron Collider ou LHC). 

90,7 kilomètres de circonférence

Construit en 2008 à côté de Genève pour la bagatelle de 5 milliards d’euros, le LHC devait déjà permettre de répondre à certaines de ces questions. En 2012, ce dernier avait réussi à identifier avec succès le boson de Higgs, dont l’existence avait été postulée en 1964 par le physicien britannique du même nom. Mais depuis cette découverte majeure, plus rien n’était sorti des tuyaux du LHC. 

En 2019, les scientifiques du CERN estiment alors qu’il faut une machine plus puissante pour éprouver les théories de la physique des particules et lancent le projet du FCC. Pour pouvoir créer des collisions 10 à 100 fois plus énergétiques, le nouvel accélérateur doit alors prendre la forme d’un tunnel circulaire de 90,7 kilomètres de circonférence (pour un diamètre total de 30 kilomètres) creusé à 200 mètres sous le sol franco-suisse à proximité du CERN. Budget total estimé : 15 milliards d’euros.

Modélisation des tracés des deux collisionneurs de particules (LHC et FCC) du CERN à la frontière franco-suisse. © CERN
Modélisation des tracés des deux collisionneurs de particules (LHC et FCC) du CERN à la frontière franco-suisse. © CERN

Dans ces nouveaux tuyaux de 5,5 mètres de diamètres et s’étalant sur une distance trois fois supérieure au périphérique parisien, électrons et positrons devront se percuter à grande vitesse afin de générer de grandes quantités de nouvelles particules. « Des collisions auront lieu dans ces détecteurs, de quoi recréer des mini Big-Bang. Et les couches du détecteur permettront de voir les particules secondaires issues de ces collisions. » explique Jean-Paul Burnet, responsable des infrastructures techniques du FCC. 

Issu d’un rapport de faisabilité à mi-parcours publié le 2 février 2024, le tracé du FCC est encore à l’état de projet aujourd’hui. Une seconde version du rapport doit être rendue fin 2025 avant d’être validée définitivement en 2028. Si tout se passe comme prévu, le chantier de l’accélérateur de particules nouvelle génération devrait durer de 2033 à 2040, et les tests de particules démarrer en 2045. 

Des dizaines de millions de tonnes de CO2

Tandis que la directrice générale du CERN Fabiola Gianotti estime que « Le FCC sera l’instrument le plus puissant jamais construit par l’Humanité pour étudier les lois de la Nature au niveau le plus fondamental », certaines oppositions au projet titanesque se font entendre. Prévue à 200 mètres sous terre en raison des complexités géologiques des Alpes franco-suisses et pour éviter certaines lignes à haute tension, le creusement des tunnels doit engendrer de très importants rejets de déchets et de terre non utilisables pour la construction. La consommation énergétique ainsi que l’émission de dizaines de millions de tonnes de CO2 pose de nombreuses questions, ce que déplorent des ONG comme l’Association Noé21.

Les critiques s’étendent même au monde scientifique. La docteure en physique quantique de l’université Ludwig-Maximilian de Munich considère même que ce projet est complètement anachronique : « Le LHC avait de bonnes raisons d’exister. Le FCC n’en a pas. Les physiciens des particules doivent accepter que leur heure a sonné. Nous sommes à l’ère de la physique quantique ». En dépit des querelles scientifiques, la décision revient aux 23 États-membres du CERN. Lesquels ne souhaitent sûrement pas se faire doubler par la Chine qui prépare un projet similaire, bien que sans aucun soutien international.