Malgré les progrès fulgurants de l’intelligence artificielle, les machines que nous construisons n’ont pas encore d’âme. Nos ordinateurs seront-ils bientôt des créatures hybrides, entre le numérique et le biologique ? C’est en tout cas le projet de la startup suisse FinalSpark, consacrée à la recherche sur des processeurs composés de neurones humains vivants.
Et si les processeurs de nos ordinateurs étaient de véritables cerveaux ? L’idée paraît relever de la science-fiction et convoque tous les scénarios catastrophes qui imaginent le soulèvement des machines contre l’humanité. Mais pour l’équipe de chercheurs de FinalSpark, cette idée n’est pas totalement incongrue. Depuis maintenant 4 ans, cette petite startup suisse essaie de développer des processeurs à partir de neurones humains. Et de révolutionner au passage le monde de l’informatique.
Dans leur laboratoire à Vevey au bord du lac Léman, les docteurs Fred Jordan et Martin Kutter font en 2020 un constat étourdissant : malgré les 100 milliards de neurones qui composent notre cerveau, ce dernier ne nécessite qu’une puissance de 20 watts pour tourner, soit à peine plus qu’un chargeur de téléphone. En revanche, selon les calculs de Kwabena Boahen, professeur en bioingénierie à l’université de Stanford, alimenter un processeur d’ordinateur aussi puissant que le cerveau humain, demanderait 10 mégawatts, soit la production d’une petite centrale hydroélectrique. Les deux mathématiciens décident alors de lancer un projet de recherche fondamentale sur une technologie encore inexplorée : le calcul informatique à l’aide de cellules vivantes ou biocomputing.
Système neuronal et impulsions électriques
Rapidement, les deux fondateurs de FinalSpark montent une petite équipe de biologistes pour lancer la culture de systèmes neuronaux intégrés à des circuits électriques et donner jour aux premiers bioprocesseurs. Sous la forme d’une petite boule mesurant entre 500 microns et 1 mm de diamètre et désignée par le terme de neurosphère, le paquet de neurones est posé sur des électrodes dans un incubateur et connecté à des convertisseurs de signaux analogique et numérique. Alimenté en nutriments par un complexe système de pompes, le système neuronal est ensuite constamment stimulé par des impulsions électriques. Ce procédé, qui porte le nom d’électro-physiologie neuronale, permet aux chercheurs d’interagir avec le bioprocesseur et de mesurer le champ électrique que les cellules produisent. De plus, les neurones sont régulièrement alimentés en dopamine afin qu’ils adaptent leurs réponses aux stimulis électriques. Comme du machine learning.
Si le projet est encore au stade expérimental, les premiers résultats de ces organoïdes cérébraux sont très enthousiasmants, estime le Dr Fred Jordan. « Au début, les neurones ne vivaient que quelques semaines mais aujourd’hui on arrive à les faire vivre plusieurs mois ! », explique-t-il. En effet, sans système immunitaire, ces cellules sont sans défense et la moindre bactérie tue le système en à peine quelques heures. Un des obstacles majeurs consiste donc à contrôler strictement l’environnement de ces bioprocesseurs : température à 37°C, humidité à 80% et atmosphère composée à 5% de CO2. « Chacun de ces paramètres est critique, et si un seul d’entre eux est modifié, tout meure ».
Processeur compostable
Au-delà des avantages énergétiques de ces bioprocesseurs – que FinalSpark estime 1 million de fois moins gourmands que ceux que nous utilisons aujourd’hui – le développement de cette technologie de biocomputing présenterait un important avantage économique. En effet, puisque les neurones sont des cellules vivantes, les multiplier ne présente quasiment aucun coût. Passer de quelques milliers de neurones à des centaines de millions peut se faire facilement dans un laboratoire, nul besoin de miner des matières premières. Petit bonus, le processeur pourra théoriquement être composté, précise Fred Jordan. « In fine, c’est un système qui va consommer moins d’énergie pour être fabriqué, utilisé et détruit »
Pour ce qui est de la puissance et de la rapidité de ces bioprocesseurs par rapport à nos microprocesseurs actuels, le co-fondateur de FinalSpark reste prudent. À ce stade de la recherche, les capacités de traitement de l’information de ces réseaux de neurones sont des modèles purement mathématiques et restent hypothétiques. « Si vous aviez demandé à l’inventeur du transistor dans les années 1940 à quoi aurait pu servir son invention dans le futur, il aurait été incapable de vous parler des smartphones ou d’internet. Mais ce qui est sûr, c’est qu’approcher le traitement de l’information par le biais du vivant est totalement inédit », nuance Fred Jordan.
Grâce à ces premiers résultats, les six scientifiques de FinalSpark espèrent lever 50 millions d’euros afin de présenter un système de neurones opérationnel dans 5 à 10 ans. Autre objectif : concevoir un bioprocesseur standardisé afin que les interfaces digitales ne voient pas la différence et puissent interagir naturellement avec. Le jour des ordinateurs bioniques n’est pas encore arrivé mais on s’en approche à petits pas.