Depuis la Silicon Valley, la compagnie REMspace Inc. assure que la prochaine révolution technologique concernera le sommeil paradoxal. Leur dernière expérience en serait la preuve. PDG de la compagnie, Michael Raduga s’explique.
Il est 7h36 à San Francisco quand Michael Raduga apparaît à l’écran. Il s’excuse de son retard. Il est tôt. A-t-il fait de beaux rêves ? « Je n’ai dormi que quatre ou cinq heures, alors tous mes rêves sont oubliés, répond le CEO de REMspace. Je n’ai pas eu assez de sommeil paradoxal. » Pour rappel, le sommeil paradoxal est le nom donné à la dernière phase du cycle du sommeil, celle à laquelle les humains rêvent le plus. Si vous vous souvenez, au réveil, d’un de vos rêves, il y a de bonnes chances pour que votre cerveau l’ait formulé à ce moment-là. Mais alors, de quoi a Raduga a-t-il rêvé la dernière fois qu’il a assez dormi ? « Pourquoi me posez-vous une question comme celle-ci, se braque-t-il. Ce n’est pas très approprié. Les rêves peuvent être personnels. Mon dernier rêve, que j’ai écrit dans mon journal intime, c’est la pagaille. Certains pourraient avoir envie de l’interpréter alors que je suis moi-même incapable d’expliquer ce qu’il pourrait signifier. Certains rêves peuvent être gênants. »
Né en Sibérie, le chef d’entreprise ne prend pas la question des rêves à la légère. Quelques secondes plus tard, il rappelle n’avoir quitté la Russie « qu’il y a deux ans » après que « l’Amérique » lui ait proposé une green card afin qu’il puisse « délocaliser » son laboratoire. « On dira que dans mes rêves, c’était la guerre, répond-il finalement. Quand je fais des rêves lucides, souvent, je vois des gens que je ne peux pas voir dans la réalité. Je suis un immigré. Les rêves deviennent une façon très importante pour moi de pouvoir voir mes proches. Je vois souvent ma grand-mère. J’étais très proche d’elle. »
Un sacré pitch
Ces rêves lucides, dans lesquels le rêveur a conscience d’être en train de rêver, les pratiquent depuis l’âge de 16 ans. Cinq ans plus tard, il publiait le premier de nombreux ouvrages sur le sujet. Aujourd’hui, sa start-up entend faire de la technologie liée au sommeil paradoxal pas moins qu’une nouvelle révolution de la taille de celles causées par l’arrivée au sein des vies humaines de l’électricité ou d’Internet. « Imaginez les opportunités que cela représente, dit-il, comme s’il parlait à un TED Talk. Imaginez pouvoir presser un bouton qui vous plonge directement dans un sommeil paradoxal. Vous seriez conscient, vous comprendriez ce qui se passe et auriez l’impression d’être dans une réalité semblable à celle dans laquelle nous sommes en train de parler. Sauf que cette nouvelle réalité n’est pas connectée à la réalité physique. On peut y contrôler tout ce qu’il s’y passe. On peut voir, manger, sentir, toucher ce qu’on veut. Ressentir douleur ou plaisir. Obtenir ce que l’on ne peut obtenir dans la vie réelle : rencontrer des célébrités, voir des membres de sa familles qui sont morts, faire des expériences sexuelles, manger un délicieux plat quand on est au régime. Tous nos désirs, tous nos fantasmes deviendront réalité. »
Pour Raduga, le rêve lucide permettra des expériences semblables à la réalité virtuelle « mais cent fois mieux » et seulement limitées aux frontières de l’imagination de chacun. Sur le site de REMspace, il est juste écrit que « tout ce qu’il reste à faire est d’apprendre à demeurer conscient durant le sommeil paradoxal et l’intégrer aux technologies modernes ». La tâche ne semble pas mince mais maigrit au fur et à mesure que Raduga s’exprime. Selon lui, maintes techniques permettant d’induire des rêves lucides sont déjà disponibles « que ce soit sur Internet ou dans mes livres. Mais cela reste difficile. Nous avons besoin de la technologie pour simplifier l’accès au rêve lucide. »
De son index, le scientifique touche la partie droite de son crâne, qui présente encore les traces d’une expérience réalisée un an plus tôt. Il raconte avoir, avec son équipe, testé sur sa propre personne un implant cérébral qui « prouve » la possibilité d’envoyer « des signaux dans un rêve, sans réveiller le rêveur. » D’ici deux mois, REMspace devrait commencer à produire des masques de sommeil censés aider à induire des rêves lucides de trois façons : en maintenant la conscience du rêveur éveillée alors qu’il est en train de s’endormir ; en comprenant que le sujet qui rêve est en plein sommeil paradoxal, puis en lui envoyant des signaux – comme des sons ou une lumière – pour qu’il comprenne qu’il est en train de rêver ; puis en réveillant la conscience du rêveur avant de lui intimer de prendre le contrôle de son rêve. Mais ces moyens restent l’apanage des initiés, qui doivent savoir quoi faire des signaux et de la conscience atteinte pendant le rêve. Ce que veut Raduga, c’est rendre la capacité à induire un rêve lucide plus grand public.
Langage secret
Fin octobre, REMspace assurait avoir permis une sorte de communication entre deux individus endormis. Afin d’expliquer le processus, Raduga rappelle d’abord qu’il a été prouvé « bien avant sa naissance » qu’une personne qui parle dans son sommeil laisse dans ses muscles faciaux une forme « d’activité électrique. » Le scientifique russe, lui, aurait réussi à prouver que prononcer la même phrase en phase d’éveil ou au fin fond d’un rêve lucide laisse sur le visage des traces qui se ressemblent. Après avoir établi ce constat, Raduga s’est échiné à développer un langage qui, prononcé dans un rêve lucide, provoque sur le visage des mouvements facilement détectables. Il l’a appelé Remmyo. « Quand tu bouges tes yeux dans un rêve, les yeux de ton corps bougent aussi. C’est pour ça qu’on appelle le sommeil paradoxal REM, pour Rapid Eye Movement. Nos serveurs peuvent capter cela et savoir, ainsi, si le sujet est en train de faire un rêve lucide. »
Lors d’une récente expérience, deux rêveurs, munis d’écouteurs, étaient connectés à un de ces serveurs par WiFi. Quand le serveur a compris qu’un des sujets était en train d’effectuer un rêve lucide, il lui a transmis un mot, généré de façon aléatoire. Lucide dans son rêve, le rêveur aurait répété ce mot, une nouvelle fois capturé par le serveur qui l’aurait ensuite envoyé au deuxième rêveur. Qui aurait répété le mot à son tour. « Voilà comment nous avons fait communiquer deux personnes qui dormaient. » Déjà produit, un papier scientifique est en cours d’authentification.