Grâce à une intelligence artificielle, trois étudiants en sciences computationnelles ont pu déchiffrer un parchemin brûlé par l’éruption du Vésuve il y 2000 ans que les archéologues ne pouvaient pas toucher sans le détruire. Cette découverte, publiée le 5 février 2023, ouvre la voie à la lecture de milliers d’objets préservés par l’éruption du volcan italien.
Le plaisir d’écouter de la musique, la beauté de la couleur pourpre ou le goût des câpres : les travaux d’une intelligence artificielle viennent de révéler les secrets d’un parchemin de philosophie antique retrouvé à Herculanum en Italie, ville ensevelie par l’éruption volcanique du Vésuve en 79 après J-C. Mais si les cendres ont miraculeusement conservé des milliers d’artefacts de la ville romaine, de nombreux documents carbonisés sont trop fragiles pour être manipulés et avaient jusqu’alors gardé leurs secrets pour eux.
Alors que les papyrologues du monde entier ne parviennent pas à déchiffrer ces manuscrits sans les désintégrer, Brent Seales, chercheur en informatique de l’université du Kentucky, développe après vingt ans de travail un logiciel permettant de dérouler virtuellement les parchemins. En utilisant les techniques de tomographie avec des scanners CT, le chercheur américain tente de reconstituer le texte en trois dimensions. Celui-ci se heurte malheureusement à un problème : les machines ne parviennent pas à différencier la densité de l’encre de celle du papier.
Un grésillement formant une lettre grecque
Avec l’aide d’un entrepreneur de la Silicon Valley, Seales décide de lancer une compétition pour déchiffrer ces manuscrits. Lancé en mars 2023, le Vesuvius Challenge offre une récompense de 700 000 dollars à ceux qui parviendront à lire le texte occulte avant la fin de l’année. À l’été 2023, le physicien américain Casey Handmer identifie une texture dans les scanners de Seales qu’il interprète comme un “grésillement” formant une lettre grecque. Cette hypothèse permet au jeune Luke Farritor, étudiant en licence de sciences computationnelles à l’université du Nebraska, de développer un logiciel utilisant du machine learning et de révéler un mot : porphyras. Pour la découverte de ce “pourpre”, le jeune américain reçoit une première récompense tandis que la course pour déchiffrer le manuscrit bimillénaire continue.
Ce n’est qu’au courant de la dernière semaine de décembre que Seales reçoit des propositions d’algorithmes promettant de décrypter les mystères du parchemin. Douze d’entre elles sont validées et soumises à l’examen par un comité d’experts en papyrologie. Les lauriers reviennent alors à l’algorithme soumis par Luke Farritor et deux autres chercheurs, le doctorant égyptien Youssef Nader et l’étudiant suisse en robotique Julian Schilliger.
Une œuvre de philosophie antique inédite
Leur solution révèle une centaine de mots sur une quinzaine de colonnes de textes, soit 5% du total du parchemin. Le contenu de ces textes semble indiquer une œuvre de philosophie antique inédite questionnant l’origine du plaisir et des sens humains, notamment via la musique, la couleur pourpre ou les câpres. Les papyrologues estiment que ces travaux seraient ceux de Philodème de Gadara (110 av. J-C. – 40 av. J-C.), un disciple du philosophe hédoniste Épicure.
Pour Richard Janko, membre du comité d’experts et papyrologue à l’université du Michigan, cette avancée indique qu’il y a « probablement d’autres textes de philosophie grecque dans ces parchemins ». Avec ces progrès époustouflants permis par l’intelligence artificielle, c’est toute la communauté archéologique qui se met à rêver. Les papyrus recyclés utilisés dans certains embaumements de momies, jusqu’alors illisibles, vont peut-être pouvoir nous aider à percer le secret des pyramides. En attendant, Seales a déjà annoncé la 2e édition du Vesuvius challenge : objectif 85% du texte déchiffré pour fin 2024.