Qui veut faire parler les chiens ?

Photo Université de San Diego.
Photo Université de San Diego.

Trois ans après l’apparition de « chiens parlants » sur les réseaux sociaux, un scientifique, un seul, étudie la communication des canidés à l’aide de tapis couverts de boutons dans une université de San Diego.

« Park », « outside », « come. » Émis en 2021, ces trois mots sont les premiers que l’on peut entendre sur un sujet de l’ultrapopulaire émission matinale Good Morning America. Ils ne sont pas prononcés par un humain, mais sont, comme on peut le voir sur une vidéo visionnée près de trois millions de fois, le fruit de l’action… d’un chien. Un bouvier australien croisé avec un chien Léopard Catahoula du nom de Stella, qui appuie de ses pattes sur un tapis confectionné par sa maîtresse, l’orthophoniste américaine Christina Hunger, qui se présente sur Instagram comme la fondatrice du Talking Dog Movement, le mouvement des chiens parlants.

Car Stella n’est pas unique. La vraie star du game s’appelle Bunny, surnommée « the talking dog of TikTok » par le New York Times, qui explique que cette chienne va jusqu’à se permettre de demander à des humains de se taire en utilisant son bouton « settle down », soit « calme toi » en Français. Sur une vidéo, Bunny demande via son tapis à aller dehors. Elle voit qu’il pleut. Alors elle retourne au tapis et tape le mot « Ugh. ».

@whataboutbunny

I personally cannot wait for the rain and cooler temps, but as far as Bunny goes, just one more reason to cozy pony all day long #ugh #mood #fall #funnydog #relatable

♬ original sound – I am Bunny

Bunny semble dégoûtée de la météo, exprimerait le fait qu’elle a changé d’avis et pourquoi. Dans le papier du NYT, sa maîtresse, Alexis Devine, explique qu’elle a un jour touché le bouton « ouch ». Puis, un peu plus tard « stranger » et « paw », avant de montrer sa pâte. « Il y avait une épine dedans ! A chaque fois qu’elle choisit ce moyen de communication, qui n’est pas naturel pour elle, c’est un moment spécial. Si elle fait l’effort, c’est parce qu’elle me fait confiance et veut me parler. Alors je sais qu’elle m’aime. »

Food / Water / Play

Voilà pour les sentiments et les réseaux sociaux. Mais qu’en est-il de la science ? En 2021, Devine expliquait avoir commandé son appareil à une compagnie vendant des tapis couverts de 48 boutons utilisant des principes de science cognitive, qui est la spécialité d’un certain Federico Rossano, professeur de l’université de Californie à San Diego. En juin 2020, Leo Trottier, développeur de produits dédiés à l’industrie des animaux de compagnie proposait au scientifique de lancer un projet intitulé They Can Talk. « Au début, j’étais sceptique, admet Rossano. Mais Leo m’a expliqué qu’il vendait des boutons pour que les chiens puissent communiquer avec les humains et que des centaines de clients seraient intéressés à l’idée de participer à une étude scientifique. » Alors, il s’est dit que cela valait le coup.

Aujourd’hui, il assure avoir mener des études en utilisant 10 000 chiens. Que pense-t-il avoir prouver, jusqu’à présent ? « Nous sommes allés conduire des tests chez certains chiens et je peux dire qu’ils comprennent à quoi ces boutons servent, démarre-t-il. Et ils comprennent les mots. Pas seulement s’ils sont émis en appuyant sur les boutons. Mais aussi quand on les prononce. Ces résultats sont dans un papier universitaire sorti en août. » Restait à se demander pourquoi les chiens pressaient ces boutons avec leurs pâtes. Mi-novembre, sortait un autre papier, fruit d’une documentation des habitudes de pressage de boutons de plus de 150 chiens. L’étude prouverait que les chiens ne pressent pas les boutons seulement en répétant bêtement, le dressage administré par leurs maîtres et maîtresses. « Ils pressent plus souvent ‘food’, ‘water’, ‘play’ ou ‘outside’ que des boutons comme ‘I Love You’, raconte Rossano. Soit ceux que les humains aimeraient qu’ils utilisent plus. C’est une bonne chose. Cela veut dire qu’ils font ça de façon indépendante, qu’ils utilisent les boutons pour formuler des requêtes en fonction de leurs préférences. On peut assurer que quand ils utilisent plusieurs boutons, la majorité des chiens étudiés ne le font pas par hasard. » Rossano souhaite creuser cet aspect et prouver qu’un chien peut comprendre que ‘want’ peut être suivi d’autre choses que ‘food.’ Comme ‘water’ ou ‘toy’. Que les chiens, donc, comprennent qu’utiliser le mot « want » équivaut à formuler une requête. « Certains chiens paraissent le comprendre. »

Water bone

À partir de ce point-là, Rossano cherche à mettre en évidence un processus appelé « productivité », soit la combinaison d’éléments, de mots, dans le but de communiquer à propos de concepts nouveaux, de perceptions nouvelles. Un chien prenant part à l’étude aurait, par exemple, tapé les mots « water » et « bone », qui paraissaient faire référence à la glace. Un autre, le mot « squeaky » – qui peut se traduire par « aigu » et qui fait généralement référence aux « squeaky toys » avec lesquels les chiens aiment souvent jouer – suivit de « car. » A l’extérieur de la maison, se trouvait une ambulance. « La prochaine chose à établir est : est-ce communicatif ? » Rossano cherche à prouver que les chiens ne pressent par les boutons comme on utilise un distributeur automatique. Que presser le mot « food » signifie plus que recevoir son repas. Mais qu’ils comprennent qu’il est nécessaire que l’humain soit attentif à eux, qu’il interagisse. Il souhaite aussi prouver qu’un chien peut calibrer ses combinaisons de bouton en fonction de l’humain. « Puis on regarde aussi s’ils demandent de l’aide quand ils en ont besoin et s’ils ne demandent pas de l’aide quand ils n’ont pas besoin d’aide ou que l’humain ne fait pas attention à eux, termine Rossano. Notre travail consiste à rassembler assez de preuves pour être sûrs qu’il ne s’agit pas de coïncidences. Nous abordons tout cela avec scepticisme, mais aussi avec ouverture, en examinant les données et en les laissant s’exprimer elles-mêmes. »