Le 16 octobre, Amazon Web Services annonçait la signature de trois accords visant à développer des projets d’énergie nucléaires – « notamment la construction de plusieurs petits réacteurs modulaires » – sept mois après avoir déclaré son intention de bâtir un centre de données près d’une centrale de Pennsylvanie, un état où Microsoft entend relancer un réacteur dormant d’ici 2028. Sundar Pichai, PDG de Doogle, a lui aussi révélé réfléchir à utiliser le nucléaire pour alimenter les centres de données de Google et Alphabet. Mais tout le monde n’y croit pas pour autant.
Dans un article récemment publié par Wired, il est écrit que l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que les demandes en électricités de l’IA, des centres données et de la crypto pourraient plus que doubler d’ici 2026. Dans seulement 13 mois, donc, cette demande en énergie supplémentaire pourrait, au minimum, être équivalente à celle du pays comme la Suède. Fondateur en 2014 de Digiconomist, un site qui vise à « exposer les conditions non désirées des tendances numériques », Alex De Vries se dandine sur sa chaise de bureau quand on lui présente les chiffres susmentionnés. « Ces prédictions de l’AIE sont en partie basées sur mes travaux, dit-il, avec un début de grimace. Il s’agissait de prédictions à minima. Je n’avais pas inclus des facteurs importants tels le refroidissement, par exemple. Depuis, on voit aussi que la chaîne logistique fonctionne bien plus efficacement que prévu. Plus d’un an plus tard, on peut dire que la trajectoire de croissance de l’IA dépasse aisément mes prévisions… Et toutes celles de l’AIE. » La grimace est désormais complète et s’amplifiera dans les minutes qui suivent. Car, selon l’expert, cette trajectoire de croissance n’a pas fini de s’envoler.
Autant d’énergie que l’Espagne
D’abord, Alex De Vries rappelle que OpenAI « faisait récemment du lobbying » afin d’obtenir de l’aide pour créer aux pays de Donald Trump « cinq à sept centres de données » aux besoins énergétiques de cinq gigawatts chacun. « Ils n’existent pas encore, certes. Mais s’ils venaient à exister un jour, ces centres de données consommeraient autant d’énergie qu’un pays comme l’Espagne. » Et, comme l’écrivait Fortuneen septembre, personne ne sait d’où pourrait venir toute cette énergie. « Avec l’IA, et surtout avec les IA génératives, qui sont les plus responsables de l’explosion en demande d’énergie, plus c’est gros, mieux c’est, poursuit De Vries. Plus les modèles sont gros, plus ils sont performants. Au niveau environnemental, c’est l’inverse. Moins c’est mieux. Alors c’est un désastre. Cette dynamique du « plus c’est gros mieux c’est » rend l’IA – et surtout les IA génératives – fondamentalement incompatible à la durabilité environnementale. »
Neutre et stable
Et le nucléaire, dans tout ça ? Pour De Vries, le monde de l’IA s’y est intéressé « dès qu’ils ont compris que les options étaient limitées, raille-t-il. L’industrie de la tech veut produire des rapports environnementaux propres et a donc besoin d’énergie neutre en carbone. Le nucléaire en est une. » Les membres de la communauté nucléaire, eux, voient l’union de l’IA et du nucléaire venir depuis « cinq ou six ans », estime Jiacopo Buongiorno, professeur au MIT. « Les centres de données ont besoin d’une énergie toujours disponible, fiable et stable, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, dit-il. Le nucléaire est un choix naturel. » Pas forcément séduisante depuis certains incidents à Tchernobyl et Fukushima, l’énergie nucléaire serait, selon de Vries, plus « digne de confiance que des énergies renouvelables » comme le solaire. « Par contre, ce n’est pas donné, nuance Buongiorno. Surtout si tu dois construire une nouvelle centrale. Mais ces grandes compagnies de la tech semblent ouvertes à l’idée de payer un prix premium pour une électricité propre et stable. C’est potentiellement un mariage idéal. »
Du trop long terme
Là, l’expert du nucléaire et celui de l’IA divergent. Sans qu’on lui soumette l’expression du professeur au MIT, De Vries en utilise une semblable : « a bad match », soit en Anglais une mauvaise association qui peut faire référence à celle de deux personnes qui, par exemple, se rencontreraient sur Tinder. Selon lui, les réacteurs nucléaires en sommeil qui pourraient être ressuscités dans le cadre étudié ici – comme Microsoft prévoit de le faire en Pennsylvanie – ne sont pas assez nombreux. Construire un réacteur nucléaire peut prendre 14 ans, comme le plus récent à sortir du sol aux Etats-Unis, dans l’état de Géorgie. « Ce sont des projets à long terme, enchaîne De Vries. Dans dix ans, la hype autour de l’IA sera-t-elle encore ce qu’elle est ? Les compagnies de la tech ont besoin d’énergie tout de suite. » Et, pour l’expert, cela ne veut dire qu’une seule chose : « nous allons consommer plus d’énergies fossiles. » Il développe : « Malgré tous ces articles sur le nucléaire, les énergies solaires et éoliennes, le fait est que nos ressources en énergies renouvelables sont actuellement limitées. Nous sommes déjà au cœur d’une transition énergétique. Augmenter drastiquement notre demande énergétique ne peut que booster la demande pour les sources d’énergie de secours, qui seront des énergies fossiles. »
De Vries replace ses lunettes de vue sur son nez et conclue d’une dose de sarcasme servit avec un rire acide : « Si les énergies de la tech achètent des énergies renouvelables, cela en privera un autre secteur qui devra se tourner vers des combustibles fossiles. Alors ça fera joli sur les rapports environnementaux de la tech, mais ça ne va pas arranger les choses. »