Le 27 mai, il était annoncé que les médecins généralistes du territoire français seraient bientôt autorisés à prescrire le Wegovy et le Mounjaro, des médicaments dits « anti obésité », jusqu’à présent seulement disponibles sur ordonnance d’endocrinologues et de diabétologues, sans remboursement de la Sécu. Médecin et enseignant-chercheur en endocrinologie, biologie moléculaire et génétique, Philippe Froguel enseigne à l’Université de Lille ainsi qu’à l’Imperial College de Londres. Expert de l’obésité et du diabète, il offre son verdict sur cette nouvelle.
Vous avez consacré votre carrière à l’élucidation des bases génétiques du diabète et de l’obésité. Pourquoi ? Comment êtes-vous venu à étudier ces questions-là ?
Professeur Philippe Froguel : Je suis devenu diabétologue par hasard. En rencontrant d’autres diabétologues. Au départ, je voulais être néphrologue. Mais j’ai découvert que c’était terrible, la néphrologie. On ne pouvait rien faire. La plupart des gens finissaient avec un rein artificiel ou avec une transplantation. Alors que pour le diabète, il y avait des médicaments. De nos jours, il y a beaucoup de choses que l’on peut faire pour le diabète dans la médecine personnalisée alors que c’est encore aujourd’hui bien moins le cas dans la médecine du rein.
Vous vouliez avoir un véritable impact, en somme ?
Exactement. À l’époque, j’ai observé que les diabétiques de type 2 étaient très mal considérés. On disait que c’était de leur faute. Qu’ils pêchaient en mangeant trop, en ne faisant pas assez d’activité. Moi, j’étais persuadé qu’il y avait de la génétique derrière ça. Comme 70 à 80% d’entre eux sont en situation d’obésité, je me disais que travailler sur l’obésité permettrait de progresser sur le diabète. J’avais à la fois raison et tort. On a trouvé plein de choses, mais ce ne sont pas les mêmes gênes. Ceux du diabète sont au niveau du pancréas, ceux de l’obésité, avant tout dans le cerveau. Pareillement, dans les années 90, on considérait que l’on devenait obèse parce qu’on stockait trop les graisses, qu’on avait un métabolisme trop faible. Grâce à la génétique, on s’est aperçu qu’une grande partie de l’obésité résultait de la prise alimentaire : est-ce qu’on a faim ? Est-ce qu’on n’a pas faim ? Est-on rassasié ou pas ? A-t-on une addiction à la nourriture ? L’idée était de trouver des traitements efficaces, qui agissent au niveau du cerveau.
Aujourd’hui, nous en avons. C’est une grande satisfaction. On avait trouvé un gène, chez des enfants très obèses, qui avaient tout le temps faim, qui s’appelait le MC4R. Un médicament est désormais produit par une boîte américaine à partir de nos découvertes. Il est distribué un peu partout dans le monde mais coûte toutefois très cher : 200 000 euros par an, aux Etats-Unis. Il est aussi restreint aux obésités génétiques. Mais il est très efficace. D’autre part, il y a tous ces médicaments dont on parle aujourd’hui. Ils ciblent soit une ou plusieurs hormones, comme le GLP-1, une hormone de l’intestin. Ils sont utiles dans le diabète, pour faire baisser les glycémies et luttent contre les complications de l’obésité du diabète, que ce soit le foie gras ou la cirrhose, qui apparaît chez les personnes obèses et/ou diabétiques. Au niveau cardiovasculaire, ils protègent le cœur et le rein. Ça protège aussi le cerveau contre les accidents vasculaires cérébraux. Ça semble être utile contre Alzheimer. C’est absolument incroyable. Surtout, ces médicaments-là luttent contre l’addiction à la nourriture. Il faut savoir que la majorité des gens en situation d’obésité n’ont pas faim ! Ils mangent sans faim. Parce qu’ils ont un besoin de manger. Parce qu’ils ont une addiction au sucre, au biscuit, au chocolat. Cela fait qu’ils ont besoin de manger, parce que ça diminue leur angoisse. Pour la plupart, les régimes restrictifs ne peuvent pas bien marcher parce que, au bout d’un moment, cela les mets en manque. Dans la génétique, on s’est aperçu que l’obésité de monsieur et madame tout le monde, est liée à des gênes généralement exprimés dans le cerveau. Dans les zones de récompense, de comportement alimentaire. Ces médicaments marchent notamment parce qu’au niveau du cerveau, ils agissent sur ces zones qui ont un rapport avec l’addiction et la récompense. Ce ne sont pas des coupes-faim. Les patients qui en consomment disent qu’ils « arrêtent de penser à la nourriture toute la journée. » Alors ils mangent moins.
Qu’est-ce que l’obésité, finalement ? Qu’est-ce qui cause l’obésité ?
C’est un déséquilibre entre les apports en calorie et ce qu’on dépense. Aujourd’hui, l’explosion de l’obésité est due aux changements alimentaires. À tout ce snacking, par exemple. Et puis au fait que, notamment chez l’enfant, il y a une diminution très importante de l’activité physique quotidienne. Les enfants marchent dix fois moins qu’il y a 60 ans. On a peur de les laisser dehors. On les transporte en voiture. Ils sont plus souvent sur leurs écrans. Ces nouveaux comportements font que les populations se sont mises à grossir partout dans le monde. La solution n’est pas dans les médicaments. Elle est dans la prise en charge rapide des enfants et l’éducation des parents. Ces médicaments ne sont pas miraculeux. Quand les gens arrêtent de les prendre, ils retombent dans leurs comportements addictifs et grossissent à nouveau. J’ai vu que le ministre de la santé a visité la nouvelle usine de Novo Nordisk. J’étais un peu choqué par son discours…
C’est à dire ? Que pensez-vous que l’annonce selon laquelle les médecins généralistes puissent prescrire ces médicaments anti obésité ?
Je suis pour la disponibilité de ces médicaments. Mais limiter un plan obésité à ça, ce n’est pas bien. On ne peut pas les donner ni aux enfants ni aux personnes très âgées. Parmi ses effets secondaires, ces médicaments peuvent provoquer des nausées mais surtout un manque d’entrain… C’est anti-addictif. C’est très bien contre l’alcoolisme mais pas obligatoirement très bien pour la vie sexuelle… Ça ne rend pas déprimé, mais ça ne donne pas envie de faire grand-chose. Cependant, le vrai problème, c’est la perte musculaire. Si vous perdez 10 kilos, vous allez perdre 3 kilos de muscle. Si vous arrêtez les médicaments, vous allez reprendre 10 kilos de gras. Alors que les obèses ont besoin de plus de muscles pour se mouvoir, ils en ont moins et font moins d’activité physique. Il faut bien informer les gens sur tout cela.