La recherche française profitera-t-elle de l’obscurantisme trumpiste ?

Bibliothèque National de France, Photo Shutterstock.
Bibliothèque National de France, Photo Shutterstock.

Depuis son arrivée au pouvoir, l’administration Trump coupe les valves de pans entiers de la recherche scientifique de son pays. Des études sur le climat, mais aussi sur le traitement du cancer, du diabète et d’Alzheimer, sont mises en danger. Alors, les cerveaux fuient. Au Canada, mais également vers l’université Aix-Marseille, dont l’initiative Safe Place for Science a prévu l’accueil de trente-neuf chercheurs. Soit la première étape d’une aspiration de la recherche états-unienne par la France ? Réponses.

Le 6 mars, comme souvent, Éric Berton s’était levé tôt. Devant les informations, à 5h30 du matin, le président de l’université Aix-Marseille découvrait l’inquiétude qui rongeait la communauté scientifique américaine suite à plusieurs décisions de l’administration Trump. « J’ai ressenti une indignation, se souvient-il, quatre mois plus tard. Alors j’ai appelé le vice-président en charge de notre fondation d’excellence en lui disant qu’il fallait que l’on fasse quelque chose, que l’on débloque de l’argent pour accueillir ces collègues virés, licenciés, empêchés dans leurs libertés académiques aux Etats-Unis. » Ainsi naquit Safe Place for Science, programme d’asile pour des scientifiques américains incapables de travailler au pays de Trump. Fin mars, 300 candidatures avaient déjà été formulées. Les mois suivants, la liste s’est allongée de deux centaines supplémentaires. Le 11 avril, l’initiative de Berton prenait une nouvelle ampleur. En compagnie de François Hollande, il co-signait une tribune dans Libération, demandant la création d’un statut de réfugié scientifique. « Parce que le scientifique peut désormais gêner certains gouvernements au même titre que l’opposant politique ou le journaliste. »

Un ponte de la NASA à Marseille ?

Sur ces centaines de candidatures, l’université Aix-Marseille a retenu 39 « hauts-profils. » Le 26 juin, une journée spéciale était organisée afin d’officiellement accueillir 12 d’entre eux. Au milieu des caméras, on retrouvait historiens, sociologues, climatologues « et quelqu’un de la NASA, complète Berton. J’ai pris la parole pour rappeler que l’Europe et les Etats-Unis s’étaient mutuellement sauvés au cours de l’Histoire. Je pense qu’avec la montée de l’autoritarisme aux Etats-Unis, on assiste à un moment historique. Il faut donc être à la hauteur. » Soutenu par le gouvernement, le budget de Safe Place for Science s’élève ainsi à 15 millions d’euros. « Quand on fait une chaire de professeur, on débloque entre 800 000 et 1 million d’euros sur trois ans, ajoute Berton. Parmi les candidatures, on a retrouvé des chercheurs établis, âgés de 50 ans et plus, qui ont été très bien payés. Ils veulent simplement faire leurs recherches au sein d’un système dans lequel ils sont désirés et qui leur permet de faire vivre l’écosystème qui les entoure. On a des grands scientifiques dans le domaine de l’épidémiologie. Une ou deux stars… On a la possibilité d’avoir des gens qui ont été très haut placés à la NASA. » 

Histoire de ne pas « mettre la pression » à ces réfugiés contraints de quitter leurs pays, Eric Berton ne donne pas de noms. La directrice de la communication de l’université suggère, cependant, d’échanger avec un de ces hauts-profils, dont les modalités de recrutement restent encore à déterminer. Ancien « Associate Chief Scientist » de la NASA, un temps attaché à la Maison Blanche, astrophysicien de renommée mondiale spécialisé dans la formation des étoiles et de la galaxie, le Dr. Kartik Sheth est en effet une pointure. Pourtant, en mars, il apprenait que son poste, tout en haut dans la hiérarchie de l’agence spatiale américaine, était supprimé. « C’était une grosse surprise, réagit-il, depuis son domicile actuel, à Washington D.C. J’avais de bons collègues à Marseille qui m’ont parlé de ce programme. Alors j’ai candidaté, sans penser à ce qui se passerait ensuite. Vous comprenez, ça fait quatre décennies que je n’avais pas été sans emploi. »

Éponger la fuite des cerveaux

Il est bien légitime de se demander comment cette fuite des cerveaux peut impacter la recherche du pays leader en la matière et, ainsi, profiter aux pays européens. A cette interrogation, Berton réagit, d’abord, en assurant que sa démarche n’est en rien opportuniste. « Mais, évidemment, l’arrivée de ces collègues peut augmenter la niveau de la recherche scientifique, répond-il, ensuite. Surtout si le programme fait boule de neige et concerne plusieurs universités françaises ou européennes. » En plus de la simple qualité des nouveaux venus et les travaux qu’ils mèneront sur le territoire français, Berton mets en avant le déclenchement d’un cercle vertueux. « Ces collègues vont venir pour trois ans, avec leurs étudiants, leurs familles. Il va y avoir des fertilisations croisées. Si ils restent, tant mieux. S’ils repartent, ils auront fait des contacts, tissé des liens. » Le Dr. Sheth, lui, tient à dire que la place des Etats-Unis comme figure de proue de la recherche mondiale était déjà remise en question au temps de la présidence d’Obama.

À l’époque, il parlait dans le cadre d’un talk intitulé Science in America at a Crossroad, suggérant que la science américaine était à la croisée des chemins. Citant Abundance, un livre des journalistes Ezra Klein et Derek Thompson paru au mois en mars 2025, il ajoute que si l’Amérique innove encore beaucoup, la production de produits issus de ces innovations se fait souvent à l’étranger. « Le reste du monde nous rattrape depuis un moment, assure-t-il. Mais ce n’est pas forcément la fin du leadership scientifique de l’Amérique. Nous ne sommes pas en guerre. Les infrastructures ne sont pas détruites. Et puis, même si elle le voulait, l’Europe ne pourrait pas accueillir tout le monde. » Si Donald Trump ne démantèle pas la démocratie américaine, il ne lui resterait par ailleurs que trois ans de mandat et  tout pourrait à nouveau changer aux prochaines élections. Eric Berton, lui, pense sur un temps encore plus long. « J’ai demandé à nos nouveaux collègues de prendre deux heures par semaine pour aller rencontrer nos étudiants de première année dans les amphis et leur expliquer par quels mécanismes ils sont arrivés là, finit-il. A très long terme, ces étudiants feront peut-être de la science différemment en se souvenant de cette expérience. »