Ce lundi 6 octobre, le prix Nobel de médecine était attribué à Mary Brunkow, Fred Ramsdell et Shimon Sakaguchi pour leurs découvertes dans le domaine de la tolérance immunitaire périphérique, qui empêche le système immunitaire de nuire à l’organisme. Le comité suédois a précisé que les chercheurs « ont identifié les gardiens du système immunitaire, les cellules T régulatrices, qui empêchent les cellules immunitaires d’attaquer notre propre corps. » Professeure en immunologie à la Faculté Paris-Descartes, Lucienne Chatenoud a elle-même mené des études dans ce domaine. Auprès de Télescope, elle se dit ravie de cette récompense « méritée » et nous aide à la décrypter.
Tout d’abord, qu’est-ce que la tolérance immunitaire périphérique ?
Professeure Lucienne Chatenoud : Le rôle du système immunitaire est de nous défendre des infections. Mais il ne doit pas agresser les cellules dîtes du « soi », nos différents organes.
Lorsque le système immunitaire agresse le « soi », des maladies dites « auto-immunes » se développent. Les cellules immunitaires, les lymphocytes, détruisent certains organes. Cela arrive dans le diabète insulinodépendant, la sclérose en plaques et toute une série de maladies dont l’incidence augmente dans les pays industrialisés de façon très importante. Les lymphocytes T régulateurs sont une population dédiée qui joue un rôle essentiel dans le maintien de la tolérance immunitaire périphérique. Les enfants qui, à cause de défauts génétiques, n’ont pas de lymphocytes T régulateurs développent des maladies auto-immunes très sévères. Voilà pourquoi cette découverte est importante.
Vous êtes donc satisfaite de cette récompense ?
Oui, énormément ! Non seulement c’est mérité, mais nous attendions depuis longtemps un prix Nobel pour ce mécanisme très important du système immunitaire et qui a pourtant été très mal traité par la communauté immunologique dans les années 90. A l’époque, les lymphocytes T régulateurs étaient appelées lymphocytes T « supresseurs ». Faute d’outils pour les identifier de manière directe fiable, certains immunologistes ont nié leur existence. Beaucoup pensaient que la tolérance immunitaire périphérique s’expliquait uniquement par l’élimination des lymphocytes T « autoréactifs » au cours de leur développement dans le thymus (l’organe situé dans la partie supérieure gauche de l’abdomen, près de l’estomac, ndlr). Shimon Sakaguchi a découvert une première molécule à la surface des lymphocytes T régulateurs, qui permettait, bien que de manière imparfaite, de les identifier. En 2001, en étudiant une souche de souris particulièrement vulnérable aux maladies auto-immunes, Mary Brunkow et Fred Ramsdell ont ensuite découvert une mutation dans un gène qu’ils ont baptisé Foxp3. Il s’agit de ce même gène qui est muté chez les enfants avec une auto-immunité sévère à la naissance. Il s’est avéré que l’expression de FoxP3 par les lymphocytes T régulateurs était un outil remarquable et spécifique pour les identifier.
En 2007, vous aviez vous-même publié un article intitulé Une étape vers la restauration de la tolérance immunitaire au soi dans les maladies auto-immunes humaines. Comment lieriez-vous vos études avec celles des lauréats du prix Nobel ?
Avec quelque chose de très important en immunologie clinique : beaucoup de pathologies de l’immunité relèvent de la diminution ou de l’augmentation de la fonction des lymphocytes T suppresseurs. L’identification d’outils thérapeutiques permettant d’agir sur les lymphocytes T régulateurs ouvre la voie vers la guérison des maladies auto-immunes, la guérison des cancers, la survie des organes ou de cellules de moelle – ou autres – chez les patients transplantés. Le développement de thérapies cellulaires utilisant des lymphocytes T régulateurs est très prometteur. En 2007, je faisais allusion dans cet article à une immunothérapie permettant de guérir le diabète insulinodépendant auto-immune chez la souris en agissant, du moins en partie, sur les lymphocytes T régulateurs. En Novembre 2022, un anticorps équivalent, Téplizumab, a été approuvé par l’agence américaine du médicament (FDA) pour le traitement du diabète insulinodépendant en clinique.
D’autres études potentiellement révolutionnaires sur le sujet sont-elles menées en France actuellement ?
Beaucoup de laboratoires de recherche ainsi que des compagnies développent des thérapies cellulaires utilisant des lymphocytes T régulateurs. Les applications envisagées sont pour l’instant surtout l’auto-immunité, la transplantation. La tolérance immunitaire périphérique est un phénomène remarquable qui n’est pas quelque chose d’inné, ce n’est pas dans les gènes, elle se construit au cours du développement des lymphocytes T. Comprendre les mécanismes qui la sous-tendent nous permet désormais de la « reprogrammer » et ainsi traiter des maladies.