Privés de données gouvernementales fiables sur les homicides, au Brésil, depuis 1995, des citoyens bénévoles cherchent à devancer les autorités dans le recensement des violences urbaines, grâce au site Internet Disque Denuncia, toujours actif. Mais avec l’avènement des smartphones et plus récemment des data, une nouvelle ère s’offre aux habitants des favelas. Une application, plus performante que jamais, les informe en temps réel des fusillades, de leur géolocalisation, et propose même un itinéraire pour les éviter. Et l’air de rien, Fogo Cruzado, « Tirs Croisés », sauve des vies et pourrait contribuer à transformer le pays. Reportage d’Hélène Brunet-Rivaillon, à Rio de Janeiro.
Le rêve de la petite Ester de Assis Oliveira était de pratiquer le judo. Elle n’en aura pas eu le temps. Elle venait d’avoir 9 ans lorsque la vie lui a été arrachée par une balle perdue, le mercredi 4 avril dernier, dans la favela de Morro do Cajueiro, à Madureira. Ce quartier populaire de la zone Nord de Rio de Janeiro n’a finalement pas grand-chose à voir avec le petit paradis cher à Dario Moreno décrit dans la chanson « Si tu vas à Rio ». Il y a bien cette réputation d’ambiance festive au moment du carnaval dont les deux célèbres écoles Império Serrano et Portela ont fait la renommée. Mais, comme dans de nombreux secteurs défavorisés des agglomérations brésiliennes, la vie y est cruellement rythmée par les fusillades.
Le jour du drame, Ester rentrait de l’école avec sa cousine âgée de 17 ans. À 450 mètres de son établissement scolaire, elle s’était offert une pause le long d’une rue abrupte, pour reprendre son souffle et déguster un morceau de gâteau offert en classe à l’occasion des fêtes de Pâques. Au même moment, un véhicule noir déboulait à vive allure et les hommes à son bord tiraient dans sa direction. La fillette a reçu une balle dans la tête. Transportée en urgence à l’hôpital Getύlio Vargas, l’enfant n’a pas survécu. La photo de ses parents, accablés de chagrin, serrant son ours en peluche dans leurs bras, a fait le tour de la toile.
100 enfants tués depuis 2007
En 2016, à la même époque de l’année, les habitants de Morro do Cajueiro avaient déjà été bouleversés par la mort de Ryan Gabriel Pereira dos Santos, un petit garçon de 4 ans, tué par balle alors qu’il jouait sur le trottoir avec sa grand-mère. Selon l’ONG Rio de Paz, depuis 2007, dans le seul État de Rio, près de 100 enfants de 0 à 14 ans ont perdu la vie après avoir été percutés par des balles perdues. Ces épisodes tragiques sont récurrents dans les métropoles brésiliennes où une grande partie des quartiers pauvres sont entre les mains de groupes criminels. À Fortaleza, au nord du Brésil, un bébé d’un an est même décédé lors d’une fusillade au mois d’août dernier. Les morts causées par ces « accidents de tir » sont difficilement quantifiables. D’autres chiffres permettent, cependant, d’envisager l’ampleur du phénomène. Dans son livre intitulé Cauchemar brésilien, le journaliste Bruno Meyerfled, correspondant du quotidien Le Monde à Rio, écrit qu’au Brésil « près de 600 000 citoyens ont été tués par homicide en une décennie ».
Pour les habitants de certaines zones urbaines et périphériques, le risque de se retrouver, à tout moment, sur la trajectoire d’un projectile, est élevé. À cette menace permanente de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment, s’ajoute le fait que l’organisation du quotidien est sans cesse entravée par la fréquence des échanges de tirs entre gangs ou d’interventions de police, qui entraînent la fermeture de routes ou des déviations d’itinéraires de bus, et rendent parfois impossible temporairement l’accès à certains quartiers. Chaque jour, des citoyens sont empêchés de se rendre sur leur lieu de travail, chez le médecin ou à l’université en raison de ces assauts. Et cela engendre, entre autres, des pertes d’emplois, des reports de soins et des défauts de présentation à des examens. Tous ces facteurs contribuent à aggraver les conditions de vie, déjà extrêmement rudes, des Brésiliens les plus modestes. Et ils frappent l’ensemble des habitants des zones urbaines, toutes origines sociales confondues. Les récits de cadres supérieurs ayant, par exemple, raté un avion en raison d’embouteillages interminables causés par des interventions armées, ne sont pas rares. Évidemment, les personnes victimes de stress post-traumatique dû à cette omniprésence de la violence armée sont légion dans les grandes agglomérations.
Tableur Excel et fusillades
Cecilia Olliveira est journaliste spécialiste des trafics d’armes et de drogues. En 2016, elle a créé l’ONG Fogo Cruzado (« Tirs Croisés »), surtout connue pour son application mobile éponyme, qui permet aux utilisateurs d’être informés en temps réel des tirs d’armes à feu dans un périmètre donné pour éviter les itinéraires à risques. Cette élégante femme métisse en robe beige, qui arbore ses cheveux crêpus relevés en chignon et un rouge à lèvres prononcé, est arrivée à Rio il y a une vingtaine d’années, et s’est immédiatement intéressée aux décès d’enfants et de jeunes adolescents à cause de la criminalité. Originaire de l’État du Minas Gerais, elle reçoit dans l’une des salles de réunion d’un espace de coworking situé dans un immeuble d’affaires, à quelques dizaines de mètres de la plage de Botafogo.
À partir de 2013, la jeune femme enquête aux côtés du journaliste britannique Misha Glenny, spécialiste du crime organisé, alors engagé dans l’écriture d’une biographie d’Antônio Francisco Bonfim Lopes. Plus connu sous le surnom de Nem da Rocinha, cet éminent trafiquant de drogues de Rocinha, la plus grande favela de Rio, fut également l’un des chefs du commando sanguinaire Amigos dos Amigos. En parallèle de ses recherches, Cecilia Olliveira cofonde la version brésilienne de The Intercept, le média d’investigation en ligne lancé en 2014 par Glenn Greewald, l’ancien journaliste du Guardian à l’origine des révélations d’Edward Snowden. « Au cours de mes recherches, j’étais régulièrement confrontée à l’absence d’informations spécifiques sur les violences armées », se souvient-elle. C’est la raison pour laquelle, en 2015, elle entreprend un fastidieux travail de recensement des fusillades mentionnées sur les réseaux sociaux et dans la presse, qu’elle compile dans un tableur Excel. Rapidement, l’idée lui vient d’initier une banque de données en accès libre et gratuit sur le sujet, et de lancer une application destinée au grand public.
Plus de quarante indicateurs
En 2016 son projet est incubé par l’ONG Amnesty International et il se concrétise en quelques mois. Le principe est simple, comme l’explique sa fondatrice : « Il faut d’abord télécharger l’appli. Ensuite, vous vous localisez en choisissant l’État dans lequel vous vous trouvez et vous optez pour recevoir toutes les alertes ou seulement celles qui concernent des faits en cours à proximité de vous ». Une carte ouvre la possibilité aussi de se renseigner en zoomant sur une zone donnée. Les utilisateurs envoient des informations relatives aux échanges de tirs dont ils sont témoins, ou dont ils entendent parler dans des groupes WhatsApp ou sur les réseaux sociaux. Les analystes de Fogo Cruzado les vérifient, notamment en recroisant les témoignages, puis envoient des alertes et saisissent les informations dans les outils prévus pour alimenter leur banque de données.
L’application est aujourd’hui disponible dans quatre États : Rio de Janeiro, le Pernambouc, Bahia et le Pará. De nouveaux périmètres seront bientôt couverts. Dans chaque région, des coordinateurs locaux se rendent sur le terrain pour faire connaitre l’application aux habitants des zones concernées par la violence armée et les former à son utilisation. Une équipe de quatre analystes par État se charge de la vérification des données et de leur décryptage. « Nous avons plus de quarante indicateurs relatifs aux faits relevant de la violence armée, développe Cecilia de Olliveria. Par exemple : le lieu, le contexte (un assassinat, un braquage, une opération de police, etc…), l’âge des victimes ou leur genre. ». Aujourd’hui, l’Instituto Fogo Cruzado, créé en 2021 pour regrouper les activités de l’ONG, emploie une cinquantaine de collaborateurs. Son financement est assuré par le mécénat de grandes fondations nationales, publiques et privées, ce qui garantit la gratuité de l’appli et l’accès à la banque de données. Bien entendu, Fogo Cruzado protège les données de ses utilisateurs. Et c’est un point qui en rassure plus d’un.
« Nous connaissons tous quelqu’un qui a perdu un fils, un mari, un père, ou même une nièce ou une voisine, dans une fusillade. »
C’est le cas de cette cinquantenaire, résidente de la favela da Maré, qui souhaite être mentionnée sous un pseudonyme : Bia. Avant d’accorder son témoignage, elle a longuement hésité, posé quelques lapins et laissé de nombreux messages sans réponse. « Les fusillades, c’est un sujet très sensible », confie-t-elle finalement, par téléphone, depuis le studio que loue sa fille dans le quartier de Catete, dans la zone Sud de Rio. « À da Maré, nous avons déjà été réveillés par les hélicoptères du BOPE (le bataillon des opérations des polices spéciales, NDLR) et par des tirs émis dans le cadre d’interventions de police. Nous connaissons tous quelqu’un qui a perdu un fils, un mari, un père, ou même une nièce ou une voisine, dans une fusillade. Ce sont des évènements très douloureux dont il n’est pas facile de parler. J’ai des problèmes de sommeil depuis dix ans. Ce qui me rend heureuse, c’est que mes enfants vivent loin d’ici, dans des quartiers moins violents. Je ne suis jamais tranquille quand ils viennent me voir. Mais je ne veux pas partir d’ici car c’est chez moi, c’est ma maison, j’y ai mes habitudes. Ma fille m’a montré comment marche l’application et elle l’a installée sur mon téléphone. Je l’utilise quand je rentre de Barra da Tijuca (banlieue huppée de Rio, NDLR), où je travaille comme caissière. Mais je ne la consulte pas dans le bus car je risquerais de me faire braquer mon téléphone. Alors je n’ai pas complètement les informations en temps réel. »
Parmi les utilisateurs de Fogo Cruzado, on compte une figure hyper populaire des favelas du nord de la ville : Rene Silva. Ce charmant vingtenaire, fervent militant pour la défense des habitants des favelas, a figuré au classement Forbes des moins de trente ans qui comptent, et il a été désigné « Homme de l’année » par le magazine GQ. Son nom revient en boucle chez les adeptes de l’application. « Dans ma communauté, assure Bia, beaucoup de gens ont découvert l’application sur le site d’information locale créé par René Silva : Voz das Comunidades. Je pense aussi que c’est là que ma fille en a entendu parler pour la première fois. »
Il existe une autre application, initiée presque en même temps que Fogo Cruzado, pour s’informer sur les fusillades en cours à Rio de Janeiro et São Paulo. Elle se nomme O.T.T. pour Onde Tem Tiroteio (« Où y a-t-il une fusillade »). Elle est présentée par ses fondateurs comme « un concept de sécurité publique 4.0 ». Cecilia Olliveira balaie de façon lapidaire l’hypothèse d’une redondance entre les deux applis : « Nous nous concentrons vraiment sur les violences armées alors que sur O.T.T, il y a aussi des informations sur les chiens perdus et des playlists de musique. C’est autre chose », commente-t-elle sèchement. Jacqueline Muniz est docteure en anthropologie et reconnue pour ses travaux de recherche sur les violences armées depuis plus de trente ans. Installée à son bureau, elle rappelle, avec son légendaire débit de mitraillette, que depuis 1995, c’est-à-dire bien avant l’avènement des smartphones, un site Internet invite à rapporter les violences urbaines pour constituer une base de données sur le sujet. Son nom ? Disque Denuncia. Grâce à un partenariat avec l’application routière Waze, le site contribue à informer les automobilistes sur les zones à risques.
Jacqueline Muniz précise aussi qu’ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis et aux Canada, des initiatives similaires sont apparues depuis les années 90. Mais ce qui caractérise Fogo Cruzado, c’est l’intention revendiquée de résoudre le problème du manque de transparence des données relatives aux politiques de sécurité publique diffusées par le gouvernement. L’ONG a mis au point une méthodologie d’analyse très poussée, noué des partenariats avec des chercheurs de plusieurs universités – y compris en Europe – et développé une stratégie de communication efficace. Cecilia de Olliveira est régulièrement présente dans les médias et très active sur les réseaux sociaux. Les abonnés reçoivent fréquemment des newsletters signées par différentes personnes de l’équipe, y compris Cecilia elle-même, sur des thématiques telles que les fusillades en prison, les échanges de tirs lors des festivités du Nouvel An ou le sort abominable des parents d’enfants touchés par des balles perdues.
Les racines du mal
La violence armée est bel et bien un fléau au Brésil. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon le média britannique indépendant Open Democracy, en 2022 76 % des villes les plus violentes au monde se trouvaient en Amérique latine, et 20 % de celles-ci dans le nord-est du Brésil. Maria Isabel Couto est docteure en sociologie urbaine et directrice des programmes de l’Institut Fogo Cruzado. Elle affirme que « 39 % des décès par arme à feu dans le monde sont concentrés en Amérique latine, laquelle ne représente pourtant que 10 % de la population mondiale ». Et le pays le plus touché serait le Brésil. De son côté, Cecilia Olliveira se désole du fait qu’ « aujourd’hui, au Brésil, près de 8 morts par homicides sur 10 sont tués par arme à feu ». Plusieurs facteurs historiques contribuent à expliquer l’importance de ces violences. À commencer par l’esclavage. « Le Brésil s’est construit sur la violence, plante Maria Isabel Couto. Aujourd’hui encore, on parle de la découverte du Brésil pour évoquer l’invasion d’un territoire et l’extermination de peuples ! C’est le signe que notre pays n’affronte pas sa mémoire. » Un terreau propice à la brutalité sur lequel a émergé un processus d’urbanisation très rapide entre les années 1970 et 2000, avec le débarquement de milliers de ruraux dans les villes, sans que cela ne soit encadré par aucune stratégie politique d’intégration. Ce qui a conduit la très grande majorité de ces populations à vivre dans la misère, agglutinées dans des bidonvilles.
L’experte pointe une autre bascule historique déterminante dans l’explosion de la violence armée : le fait que le Brésil soit devenu, à partir des années 1980, « une enclave centrale pour le trafic de cocaïne qui traverse les pays andins vers l’Europe et l’Asie ». De là sont nés de terrifiants conflits armés pour contrôler les territoires stratégiques, les routes commerciales et la vente des produits. Jacqueline Muniz tient d’ailleurs à préciser que « les affrontements armés ne sont pas généralisés sur tout le territoire. Ils sont essentiellement localisés dans des zones qui sont sous la domination de groupes armés qui contrôlent la population et le marché », détaille-t-elle, avant de qualifier ces gangs de « gouvernements criminels autonomes ». « 20 % du territoire de la région métropolitaine de RJ est contrôlé par des groupes armés, assure Maria Isabel Couto. Je ne parle pas des points de vente de drogue, mais bien de territoires dirigés par des groupes armés. » Dans ces quasi-États dans l’État, les factions dictent leurs règles à tous les niveaux, de ce qui concerne la circulation des biens et des personnes jusqu’aux choix des fournisseurs de gaz, d’électricité, d’eau et d’accès à Internet, lesquels sont évidemment guidés par la corruption.
Si le Brésil détient tous les records en matière de violence armée, rien de plus logique aussi : les armes y sont présentes dans des quantités astronomiques. Selon le site d’information UOL, en moyenne, 2 000 armes sont enregistrées tous les 24 heures sur le territoire. Fin 2022, 2 millions d’armes étaient officiellement détenues par des citoyens membres de la catégorie « collectionneurs, tireurs et chasseurs ». Sans compter celles qui circulent illégalement. Et, bien entendu, celles des fonctionnaires de l’armée et de la police civile. Le Brésil compte un important fabricant d’armes à feu : l’entreprise Taurus, fondée par des immigrés allemands en 1939, à Porto Alegre, dans le sud du pays. Elle s’inspire des techniques de marketing et de diversification des fabricants américains pour étendre son marché. Quitte à recourir à des procédés aussi douteux que le lancement d’une arme rose pour la journée internationale du droit des femmes…
« Un tiers des fusillades ont lieu au cours d’opérations de police. On peut donc dire que la police est responsable d’un tiers de la violence armée dans ces régions.«
Les experts soulignent que le nombre d’armes à feu a explosé au cours des dernières années. Un phénomène qui semble s’être intensifié sous le mandat de l’ancien président d’extrême droite Jair Bolsonaro, de 2019 à 2022. « Il a approuvé quarante décrets sur l’accès aux armes, regrette Cecilia Olliveria. Aujourd’hui, la population civile possède plus d’armes que l’armée et la police ! Bolsonaro a accordé jusqu’à soixante autorisations de détention d’armes pour une seule personne, issue de de la société civile, poursuit-elle. Pourquoi quelqu’un aurait-il besoin de soixante armes ?! »
Du retour de Lula, réélu à la présidence de la République en 2022, elle espère la création d’une banque de données nationale sur les armements (il a fait une annonce à ce sujet), et d’un indice national des homicides. Une des principales raisons du manque de transparence de l’État sur l’origine des décès causés par des tirs d’armes à feu est qu’une importante proportion de ces derniers sont émis par des policiers en intervention. « Dans les régions métropolitaines de Rio de Janeiro et Salvador de Bahia, déroule Maria Isabel Couto, un tiers des fusillades ont lieu au cours d’opérations de police. On peut donc dire que la police est responsable d’un tiers de la violence armée dans ces régions. » Des opérations dénoncées pour leur inefficacité, accusées de relever d’une forme de marketing de la peur et de faire courir des risques gigantesques à la population. Cecilia de Olliveira ajoute : « On sait que la police tue beaucoup dans les quartiers où la population est majoritairement noire et pauvre. Ce sont souvent des policiers noirs qui tuent des civils noirs, sur les ordres de chefs blancs. Ils exécutent une politique publique faite par les blancs, pour les blancs », accuse-t-elle. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les autorités rechignent à publier des chiffres sérieux sur les violences armées.
Données officielles censurées
Dans ce contexte délétère, des citoyens s’organisent depuis des années pour lever l’opacité sur ces chiffres. Déjà, en 1999, Jacqueline Muniz avait démarré un recensement des violences policières. Elle se réjouit de l’émergence des « outils de consultation populaire en temps réel ». « Les données officielles sont régulièrement censurées, les gouvernements veulent avoir le monopole de la production d’informations, se désole-t-elle. Toutes ces initiatives de la société civile permettent de casser ce monopole de la vérité et d’améliorer la mobilité socio-spatiale des citoyens, qui sont des aspects essentiels d’une démocratie. Et cela grâce à un outil bon marché et facile à utiliser : le téléphone. Les applications comme Fogo Cruzado s’inscrivent dans un mouvement national de pluralité de la production d’informations, conclut-elle. Leurs données entrent en compétition avec celles de l’État. » Pour Cecilia de Olliveira, le but est aussi de « mettre ces informations sur la table pour provoquer un débat sur la façon dont l’État doit se responsabiliser sur les morts de civils et de ses propres agents ».
Loin de se poser en ennemie des institutions, elle espère, au contraire, que les activités de Fogo Cruzado contribueront à améliorer leur fonctionnement. « Nous avons d’ailleurs une conversation ouverte avec la police militaire. Nous avons déjà échangé sur la manière dont nous pourrions travailler ensemble, sur la façon dont nos informations pourraient leur être utiles. » Dans les faits, elles le sont déjà. De nombreux agents de la police militaire utilisent quotidiennement Fogo Cruzado pour se déplacer dans la vie courante, mais, aussi, dans le cadre de leurs fonctions. Car, le premier réflexe pour les individus témoins d’une fusillade n’est certainement pas d’appeler la police, ce qui impliquerait de devoir patienter en ligne, répondre à un questionnaire, donner son identité et parler tout haut dans un lieu public. Un processus bien plus contraignant et risqué que de partager une alerte, discrètement et silencieusement, en quelques clics, sur une application.