– Exclusivité Télescope –
La maladie d’Alzheimer, première cause de dépendance en France, touche officiellement 710 450 personnes selon l’Assurance Maladie. Mais les projections épidémiologiques suggèrent un nombre bien plus élevé : au moins 1,2 million de malades, et jusqu’à 3,6 millions selon certaines études récentes. Or, derrière ces chiffres se cache une sous-évaluation dramatique de l’impact économique de la maladie. En 2024, l’Assurance Maladie déclarait un coût de seulement 2,3 milliards d’euros, correspondant aux hospitalisations, soins de ville et prestations médicales directes. Mais une étude approfondie de 2025, menée par l’association Aloïs, en partenariat avec Kea Partners, révèle une toute autre réalité : 35,5 milliards d’euros par an.
Cette estimation repose sur un modèle combinant différents profils de patients et d’aidants, en prenant en compte trois scénarios de diagnostic (précoce, moyen, tardif). Le modèle intègre aussi bien les coûts directs médicaux (hospitalisations, soins infirmiers, médicaments) que non médicaux (aides à domicile, transport), et surtout les coûts indirects : perte de productivité des aidants, temps consacré aux soins informels, impacts sur la santé des proches.
Les résultats sont sans appel :
- 17,3 milliards d’euros à la charge de la Sécurité sociale ;
- 12,7 milliards d’euros supportés directement par les familles ;
- Près de 3,6 milliards d’euros pour les acteurs privés (mutuelles, assurances) ;
- Environ 2 milliards d’euros pris en charge par les conseils départementaux.
En comparaison, même appliqué aux seuls patients officiellement recensés, le coût global atteindrait déjà 20,8 milliards d’euros, soit près de dix fois les chiffres officiels. Rapporté au PIB français (2 917 milliards €), Alzheimer représente 1,2 % de la richesse nationale annuelle.
L’écart entre chiffres officiels et réalité reflète un biais structurel : seuls les patients diagnostiqués sont comptabilisés, et seuls les coûts médicaux directs sont pris en compte. Tout le reste – le temps passé par les aidants, l’usure de leur santé, les dépenses quotidiennes pour compenser la perte d’autonomie – reste invisible dans les comptes publics.
Cette sous-évaluation empêche la mise en place de politiques adaptées
Bénédicte Défontaines, neurologue et fondatrice de l’association innovante Aloïs (un centre d’expertise neuro-cognitive en ville intégrant un pôle clinique, un pôle recherche et un pôle formation) est à l’initiative de ces études de coûts.
Elle nous explique : “Notre première étude de coûts a été faite en 2014 et l’établissait à 28 milliards d’euros par an, nous l’avons réactualisée en juin 2025. On a informé le ministère de la Santé, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) et nous avons rendez-vous prochainement avec la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) avec, en vue, la généralisation de la modification du parcours de soins. Aujourd’hui, le diagnostic d’Alzheimer est effectivement posé en phase modérée, ce qui est déjà trop tard. Ce que l’on souhaite c’est faire un diagnostic précoce grâce au dispositif PASSCOG (nous y reviendrons spécifiquement dans un prochain article, ndlr). C’est très important pour pouvoir donner des médicaments précocement et pour mettre en place un tas de mesures médicamenteuses et non médicamenteuses qui vont retarder l’entrée dans la dépendance du patient et anticiper l’état d’épuisement des aidants.”
Car cette sous-évaluation empêche la mise en place de politiques adaptées. Or, les défis sont immenses : vieillissement accéléré de la population, arrivée de nouveaux traitements, nécessité d’un diagnostic plus précoce. L’étude souligne l’urgence de réorganiser le système de soins, en intégrant des dispositifs comme le parcours PASSCOG pour offrir un diagnostic précoce en ville et un accompagnement coordonné. Pour Nicolas Bonnet, statisticien et économiste qui a piloté l’étude : “il y a un gisement d’économies considérable parce qu’il ne faut pas hospitaliser, ou le moins possible, les patients atteints d’Alzheimer. Tout le monde est d’accord là-dessus. Donc il y a les hospitalisations et le deuxième gros poste de dépenses, ce sont les dépenses à domicile et la santé des aidants car ils sont malades aussi. Parce que le patient, quand il commence à être vraiment dégradé, à partir du stade modéré, est beaucoup moins inquiet que l’aidant qui est à côté, qui vous voit vous dégrader, qui vous voit faire des bêtises tous les jours. S’il n’est pas bien informé sur la maladie, si on ne l’aide pas à tenir le coup, très vite il ne se soigne plus, il ne dort plus, il est dans un état de stress permanent.”
L’enjeu n’est donc pas seulement médical : il est social, économique et politique. Reconnaître le coût réel d’Alzheimer, c’est accepter d’investir dans un modèle pérenne qui soulage les familles, optimise la dépense publique et anticipe les bouleversements à venir.
L’étude constitue un repère économique inédit et solide, un outil de plaidoyer indispensable pour faire entrer Alzheimer dans l’agenda politique au même titre que d’autres priorités de santé publique.