Comment la Chine protège ses pangolins via une IA

Afin de lutter contre le commerce illégal d’espèces sauvages en ligne, une technologie capable d’identifier les produits issus de 34 espèces a été lancée par le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) et une multinationale chinoise. Comment cela fonctionne-t-il ? Responsable du programme Criminalité faunique d’IFAW Chine, Chenyue Ma explique depuis son bureau de Beijing.

Jusqu’à présent, c’était relativement simple. Vous souhaitiez offrir, pour Noël, une peau de tigre à votre braconnier préféré ? Il suffisait de taper cette requête dans la barre de recherche d’eBay ou d’une autre plateforme d’e-commerce pour trouver des résultats. Essayez aujourd’hui et vous constaterez que c’est devenu plus difficile et ce, en partie grâce au travail de l’IFAW. En lutte contre la cybercriminalité liée aux espèces sauvages depuis 2005, l’ONG et la multinationale Baidu développaient, en utilisant la plateforme d’apprentissage open-source PaddlePaddle, la première version d’un outil baptisé Gardien IA des Espèces Menacées en 2019. « Cette version couvrait des produits issus de trois espèces, raconte Chenyue Ma. Les défenses d’éléphant, les griffes et les dents de tigre, les écailles et les griffes de pangolins. La difficulté, c’est que ces produits peuvent prendre des formes diverses. On en fait des bracelet, des pendentifs, des statuettes. Les mérites de notre outil, c’est qu’après qu’on lui ai montré plus de 40 000 images de chaque type de produits, il parvient à les identifier dans tous les formats possibles. »

Des rapaces sur Instagram

Comme pour maintes formes de trafic, l’e-commerce est une solution business remplie de qualité. « Tu peux commander une iguane d’Amérique du Sud depuis chez toi, reprend Ma, prolongeant un soupire. En ligne, tu vends et achètes en tout anonymat. » Selon l’experte, l’augmentation observée de cette étrange demande en produits issus de bêtes sauvages s’explique principalement par la facilité d’achat permise par l’offre en ligne.  « C’est un comportement commun au consommateur de voir en la disponibilité une forme de légalité, ajoute-t-elle. Pour les agences gouvernementales, surtout celles des pays en développement, combattre ces crimes demeure difficile. » Ma explique que la popularité de chaque produit évolue avec le temps. Longtemps, l’ivoire était en tête. En 2022, les cornes de rhinocéros étaient plus en vogue qu’aujourd’hui et l’attractivité des produits issus du pangolin a récemment décru. On se demande pourquoi. En revanche, l’IFAW observe une augmentation du commerce de bêtes vivantes, vendues comme animaux de compagnie, que ce soit des reptiles, des oiseaux sauvages, voire même des fauves ou des primates. Sans surprise, les propriétaires de ces créatures s’amusent à poster des vidéos d’elles sur les réseaux sociaux, parfois, simplement, car leur possession est légale dans leurs pays. « Si une personne voit sur les réseaux plein de rapaces transformés en animaux de compagnie au Moyen-Orient, cela peut déclencher en elle l’envie d’en acquérir, complète Ma. Des espèces qui n’étaient populaires que dans certaines régions du monde le deviennent de façon internationale. »

Assister les autorités


La version 1.0 du Gardien IA a permis à l’IFAW l’analyse de plus de 21 271 images d’espèces ciblées, qui aurait entraîné la suppression de 7 853 annonces illégales. Mais la version 2.0 fera mieux en étant capable d’identifier, déjà, des images de produits issus de 34 espèces, qu’il s’agissent de tortues, de perroquets ou d’antilopes. « On peut qualifier l’outil de filtre propulsé par IA, développe Ma. C’est un outil d’exploration de données qui filtre des images sur des plateformes désignées pour identifier celles qui contiennent des produits issus des espèces que nous ciblons. Une fois que nous avons les résultats, l’outil permet de cliquer sur un lien qui renvoie à l’annonce originale. » Dans un communiqué de presse, l’IFAW précise que cet outil utilise Large Vision Model (LVM), un programme d’intelligence artificielle qui traite et interprète des données visuelles. Son taux d’exactitude serait de 86%, facilitant ainsi le signalement aux autorités en charge des poursuites judiciaires. « Nos analystes authentifient ensuite les images avant d’établir à quel point le lien peut être intéressant pour les agences gouvernementales. Puis les liens sont soit envoyés à ces agences – pour qu’ils suppriment l’annonce ou pénalisent ceux qui l’ont mise en ligne – soit aux autorités. » Le communiqué de presse assure que le Gardien sera régulièrement mis à jour afin d’intégrer les « dernières avancées technologiques et étendre la liste des espèces reconnues, en s’adaptant aux tendances en matière de cybercriminalité faunique. » En parallèle, l’IFAW développe une interface utilisateur qui permettra aux forces de l’ordre et aux organisations de la société civile d’utiliser l’outil en toute aisance. Mauvaise nouvelle, donc, pour les cadeaux de Noël aux braconniers. Autre option : faire une donation, en leurs noms, à l’IFAW.