Le boss de la fashion week a quelque chose à dire sur les robots

Pascal Morand, Président Exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode. Photo : DR
Pascal Morand, big boss de la fashion week parisienne, est plutôt calé en robotique. Photo : DR

À la question, « quels seront les nouveaux looks de demain ? », même Pascal Morand, président de la Fédération de la haute couture et organisateur de la Fashion Week parisienne ne peut pas répondre. Mais quand il s’agit d’évoquer le digital et la robotique dans l’industrie du luxe, celui qui est également membre de l’Académie des technologies et de la French Touch est plutôt calé.

TELESCOPE : L’une des répercutions du Covid sur la mode a été la Fashion Week online. On a vu ça comme une parenthèse, alors que pas du tout.

PASCAL MORAND : Avant le Covid, l’économie du digital complétait l’économie physique. Maintenant, c’est le contraire. Pour la Fashion Week, la période du Covid lui a redonné encore plus de sens. Avec le manque, on se rend compte de l’importance des choses. Ce qui est sûr c’est qu’avec le virtuel, elle s’est ouverte aux citoyens qui aiment la mode, elle n’est plus un évènement restreint, réservé aux professionnels.

Jusqu’où l’industrie de la mode va-t-elle se digitaliser ?

Le digital impose une transformation de l’industrie et du monde de la mode, à la fois dans la communication, la commercialisation, et la création avec, par exemple, l’essor de l’intelligence artificielle et du prototypage virtuel. À mon avis, la crise pandémique est le moment où on a véritablement basculé dans le XXIe siècle.

« On reproduit très bien le mouvement des bras, beaucoup moins bien le mouvement des doigts. »

Tout était écrit ?

Comme toujours, ceux qui ont la meilleure approche prospective sont les auteurs de science-fiction. Ils ont inventé les concepts de virtualisation, de métavers, nés du courant cyberpunk.  L’écrivain William Gibson a écrit cette phrase : « Le futur est déjà là, mais il est inégalement partagé ».

En matière d’innovation, quelles sont les avancées majeures constatées depuis le Covid ?

On assiste à deux révolutions : une révolution écologique qui s’impose aux hommes et une révolution technologique qui naît d’une volonté.  Depuis des décennies, on dit qu’on va vers la robotisation, on attend toujours et, à mon avis, on va continuer d’attendre. Élaborer un vêtement ou un prototype est beaucoup plus complexe que d’élaborer une pièce en aéronautique sur le plan de la robotique. On reproduit très bien le mouvement des bras, beaucoup moins bien le mouvement des doigts.

L’âge du « faire »

Est-ce que cette digitalisation ne va pas entraîner la disparition de certains métiers ?

La digitalisation porte essentiellement sur l’immatériel, pas sur le processus de production. Pour les petits volumes, on assiste à un développement des ateliers. En effet, à cause du digital, les lieux ont aujourd’hui une très grande importance. Votre génération a besoin, plus qu’avant, de se retrouver, de savoir qu’un vêtement a été bien fait, dans des conditions environnementales et sociétales conformes à l’éthique. Nous sommes dans L’âge du faire, pour reprendre le titre de l’ouvrage du sociologue Michel Lallement.

On voit que des créateurs proposent leurs vêtements dans des jeux vidéo. Quel regard portez-vous là-dessus ?

Il s’agit d’une évolution naturelle, elle conduit vers la créativité augmentée et la virtualité. Au matérialisme fordiste du XXe siècle a succédé l’immatérialisme digital. On entre dans un monde où vont naître des objets virtuels nouveaux qui ne se limiteront plus, comme aujourd’hui, à des translations d’objets physiques. La question est de savoir jusqu’à quel point nos technologies digitales reproduiront les sensations du monde physique.

Temporalité et intemporalité

83 % des Européens entendent privilégier des produits intemporels dans la mode. Doit-on comprendre que ce réflexe implique une créativité moindre et un repli sur des codes vestimentaires déjà établis ?

Intemporel est un mot intéressant. Veut-il dire que le même produit ne bouge pas, ou alors qu’il dure dans le temps ? Sur Vinted et Vestiaire Collective, d’après une analyse que nous avons menée, les prix restent stables pour les marques importantes ; pour les autres marques, ils plongent. C’est une dimension de la temporalité. Mais est-ce que l’intemporalité peut être rapportée à une stricte fonctionnalité, ou bien à une représentation de l’objet ?

Dans une période incertaine, il y a quelque chose de rassurant dans l’intemporel.

Oui, vous avez raison, dans ce monde turbulent, on a besoin de ralentir. Il y a une phrase de Montherlant que j’aime bien : « Un jour viendra où s’agissant de la vitesse et de la surenchère en ce qui la concerne, la lenteur sera le seul moyen d’exprimer une certaine délicatesse ».

Propos recueillis par Baptiste Manzinali