Ils veulent changer les visages de la gauche

Académie des futurs leaders et Christiane Taubira.
Ils veulent changer les visages de la gauche. Photo Telescope magazine

Inaugurée en janvier dernier, l’Académie des futurs leaders entend accompagner des jeunes militants progressistes qui souhaitent faire de la politique autrement. Comme elle, d’autres écoles font se pari en s’inspirant du modèle américain, et tentent de mettre un coup de balai aux pratiques des partis en place, avec, pour l’heure plus ou moins de réussite.

Ils s’interpellent entre eux, lancent un débat avec l’enseignant, évoquent leurs propres expériences. Quelques plaisanteries fusent, mais les échanges sont riches. Dans les locaux parisiens de l’université américaine Columbia, se tient ce jour-là un cours consacré à l’éthique. Spécialiste de la psychosociologie des organisations, Antoine Masingue y montre qu’une information n’a aujourd’hui de valeur marchande que si elle capte l’attention de l’utilisateur. « L’économie de l’attention cherche à faire de nous des animaux pulsionnels », souligne cet enseignant à Sciences Po Paris. L’auditoire auquel il s’adresse n’est néanmoins pas composé d’étudiants, mais des douze participants à la première promotion de l’Académie des futurs leaders (AFL). Né en janvier 2022, ce programme de formation novateur vise à accompagner des personnes issues de la société civile, désireuses de s’engager dans un projet politique, mais qui ne se reconnaissent guère dans les pratiques politiques contemporaines.

Améliorer la vie des gens

Des gens dont la boussole les pousse incontestablement sur la gauche de l’échiquier politique mais qui, par leur activisme, ont prouvé que l’engagement ne passait pas forcément par les partis politiques. « Les partis sont composés de cow-boys aux egos surdimensionnés, dont les seuls objectifs sont la médiatisation et l’obtention de circonscriptions pour eux-mêmes ou pour leurs amis, assène l’une des participantes, Ophélie Latil, fondatrice du collectif féministe Georgette Sand. Ce que nous voulons, c’est faire de la politique autrement. » Ils rêvent de faire bouger les lignes, en somme. Pas seulement de la gauche, mais plus généralement d’un système démocratique qu’ils jugent à bout de souffle, parce qu’il se caractérise pêle-mêle par des taux d’abstention record, des alliances électorales dépourvues de vision commune et des courses à l’investiture qui font oublier l’essentiel : s’engager en politique, c’est vouloir améliorer la vie des gens.

« Les activistes sont nombreux à agir pour répondre aux défis – écologiques, migratoires, démocratiques, sanitaires, etc. – auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés, mais ils ne sont ni incarnés ni reflétés politiquement », souligne Alice Barbe, l’une des deux têtes pensantes de l’AFL, par ailleurs cofondatrice de Singa, un réseau international spécialisé dans l’intégration des personnes réfugiées. C’est ce déficit de représentation que l’AFL entend combler, afin d’apporter son écot à la restauration de la confiance envers la représentation politique.

Et, au-delà, à la rénovation de la démocratie. Or, ce défi passe nécessairement par l’apparition de nouvelles têtes ayant fait leurs preuves sur le terrain. « L’Académie vise à faire émerger des acteurs nouveaux de la politique en la démystifiant », complète Michka Bengio, le second cofondateur de l’AFL, stratège politique installé aux États-Unis.

Renouveau de la démocratie

Le processus de sélection des participants a été pensé en conséquence. Ici, pas de candidature spontanée, mais un système de nomination. À l’automne 2021, les fondateurs de l’AFL ont ainsi lancé un appel sur les réseaux sociaux, demandant à leurs followers qui pourrait, selon eux, incarner leurs espoirs pour l’avenir. En trois semaines, ils ont reçu la bagatelle de 320 propositions de noms… À charge pour eux de réaliser un premier écrémage selon trois critères : « L’expérience des prétendants en matière d’engagement, leur capacité à mobiliser une communauté et leur motivation à se lancer dans un projet politique de long terme », énumère Michka Bengio.

Après un ultime passage devant un jury, une quinzaine de profils ont été retenus. Et douze personnes se sont présentées le 4 janvier dernier pour la rentrée des classes. De ces activistes qui s’époumonaient souvent seuls, l’Académie s’emploie à faire une communauté qui, sur le long terme, pourra se soutenir, se challenger et participer de concert au renouveau de la démocratie.

Mais pour cela, pas question de s’acoquiner avec un quelconque parti politique : les fondateurs de l’AFL assurent ne parler à aucun, même si le projet est soutenu par de nombreuses personnalités de gauche, dont Najat Vallaud Belkacem et Christine Taubira. Cette dernière est accordé un temps d’échange de 2h30 avec la première promotion, fin juin. « En revanche, nous voulons que les participants se sentent suffisamment crédibles et légitimes pour faire bouger les lignes au sein des partis qui pourraient les contacter », souligne Alice Barbe.

Apparatchiks et nouvel activisme

Pour asseoir leur crédibilité et leur légitimité, un premier tiers des enseignements est constitué de cours théoriques. Assurés par des enseignants à Sciences Po et à la Sorbonne, mais aussi par des experts de l’Institut des futurs souhaitables, ces cours visent à combler les manques que certains peuvent avoir en sciences politiques, droit constitutionnel, data, sciences du climat, géopolitique, etc.

Ce bagage académique se double d’un autre aspect : « Pour accélérer leur impact sur le changement, il ne faut pas que les participants mettent dix ans à rencontrer des gens qui ont été au pouvoir et qui ont beaucoup de visibilité », indique Alice Barbe. En guise d’accélérateur de réseau, le deuxième tiers des enseignements repose donc sur des rencontres avec des personnalités. Les participants ont par exemple débattu avec François Hollande et Axelle Lemaire, ancienne secrétaire d’Etat au numérique. Mais aussi avec les Américains Ben Rhodes (ancien conseiller spécial à la sécurité américaine sous l’administration Obama), Avril Haines (directrice du renseignement national américain de l’administration Biden) ou encore Zack Exley (activiste et cofondateur de Brand New Congress et Justice Democrats). Durant leurs six mois de cours, les participants apprennent également à ne pas sacrifier leur santé mentale sur l’autel de la politique.

Empathie et compassion

Entourés de coaches et de spécialistes des neurosciences, ils sont incités à effectuer un travail sur eux-mêmes lors de sessions consacrées au développement personnel, à la méditation, à la spiritualité… Ils analysent leur désir de pouvoir, étudient l’impact de leurs engagements sur leur cerveau, s’interrogent sur la manière de ne pas haïr leurs adversaires… Ils évoquent aussi des notions comme l’empathie et la compassion, très inhabituelles en politique. Vu de l’extérieur, ce dernier tiers des enseignements pourrait paraître au mieux farfelu, au pire parfaitement creux. « Ces sessions aident les participants à devenir la meilleure version d’eux-mêmes », assure Michka Bengio.

Certes. Mais tout cela est-il vraiment utile quand on entend se lancer en politique et rénover la démocratie ? « Oui, parce que nous travaillons sur les émotions et qu’elles font partie de la vie politique, répond l’un des participants, Maxime Le Texier, co-initiateur de la démarche Archipel Citoyen, à Toulouse. Le problème, c’est que les acteurs politiques d’aujourd’hui l’ont oublié : ils n’expriment jamais leur vulnérabilité, taisent systématiquement leurs doutes, s’enferment dans des rôles et ne font plus la différence entre compromis et compromission. » Si ces ateliers visent à fournir aux participants les outils nécessaires pour rester des personnes équilibrées, ils ont aussi vocation à les aider à garder la tête froide en toutes circonstances. Et à leur permettre d’éviter de se livrer à ces guerres d’egos si courantes en politique.

Guerres d’égos

C’est aussi pour cela que l’Académie mise sur le collectif et la co-construction. Les débats qui ponctuent ce jour-là les interventions d’Antoine Masingue en sont témoins. « Vos échanges sont toujours intéressants et font de l’Académie un lieu de fertilisation croisée. Ils permettent de réhabiliter les enseignements d’antan, fondés sur l’oralité », déclare l’enseignant quand il parvient enfin à reprendre la parole. « Nous nous fritons pas mal entre nous, concède Fanny Bénard, vice-présidente du mouvement « A Nous la Démocratie ». Mais l’Académie nous apprend à interagir au sein du groupe, à confronter nos points de vue et à échanger posément. Dans le fond, nous avons tous envie de la même société ! » Reste que le temps n’est pas encore venu où les apparatchiks céderont la place aux nouveaux profils venus de l’activisme. A l’occasion des dernières législatives, certains des participants à l’AFL l’ont appris à leurs dépens.

Grève de la faim

Après être parti très tôt dans la campagne pour la conquête de la 4e circonscription des Bouches-du-Rhône, le militant contre le mal-logement Kevin Vacher a finalement renoncé à se présenter, faute d’avoir obtenu l’investiture NUPES qu’il sollicitait. Et cette circonscription, qui fut celle de Jean-Luc Mélenchon, a finalement échu à Manuel Bompard, l’un de ses principaux lieutenants. Les pratiques anciennes ont la vie dure… A la tête du mouvement citoyen Cergy Demain, Sanaa Saitouli comptait elle-aussi décrocher l’investiture NUPES dans la 10e circonscription du Val-d’Oise.

Le mouvement a toutefois préféré faire confiance au sortant, Aurélien Taché, un transfuge de LREM. Se présentant en dissidente, Sanaa Saitouli n’a obtenu que 2,99 % des suffrages au premier tour… Seul Stéphane Ravacley – cet artisan-boulanger qui s’était lancé en 2021 dans une grève de la faim de dix jours pour s’opposer à l’expulsion de son apprenti guinéen – a pu se présenter sous les couleurs de la NUPES dans la 2e circonscription du Doubs. Mais il a été battu au second tour. Les fondateurs de l’AFL ne baissent pas pour autant les bras. « Ce n’est pas l’académie des politiciens, mais l’Académie des futurs leaders », défend Michka Bengio.

Gilets jaunes

Le but de l’établissement est en conséquence d’aider les participants à trouver la voie qui leur conviendra. « Notre ambition est d’accompagner une centaine de personnes pendant les cinq prochaines années, renchérit Alice Barbe. Si certaines d’entre elles se font élire, si d’autres contribuent à la définition de nouvelles idées politiques et si d’autres encore continuent de s’engager sur le terrain, nous aurons réussi notre coup. » Tous les membres de cette première promotion n’ont d’ailleurs pas les mêmes aspirations.

« Grâce à l’Académie, j’ai compris que je m’épanouirais davantage en poursuivant mon travail de militante, note ainsi Ophélie Latil. J’ai pris conscience que ce que je faisais sur le terrain depuis quinze ans était fondamentalement politique et je compte bien continuer, en participant à la fabrique de la loi. » Co-initiatrice du mouvement des gilets jaunes, Priscillia Ludosky ne se projette pas au-delà de l’écriture du livre qu’elle est en train de rédiger. « Mais si je me rends compte qu’être candidate à une élection législative est le seul moyen d’avoir un impact, il n’est pas impossible que je me présente un jour », précise-t-elle.

Philanthropie et démocratie

D’autres écoles fondées sur le modèle des mouvements citoyens américains naissent en France, pour faire émerger de nouveaux visages politiques. Un modèle qui, s’il a fait ses preuves Outre-Atlantique, a un coût. L’AFL dispose aujourd’hui d’un budget annuel de 230 000 euros, principalement financée par l’association Focus 2030 et surtout par la fondation Lunt, basée en Belgique. « Notre financement est un enjeu crucial pour l’avenir : des projets comme l’Académie ne peuvent pas se permettre de n’être financés que par des fondations étrangères, martèle Alice Barbe. Or, en France, les parties prenantes de la philanthropie ont du mal à s’emparer du sujet démocratique. Dans le contexte actuel, je trouve cela dommageable. Nous avons un besoin impératif de faire naître un narratif sur le financement de la démocratie. »