Barbara Belvisi avait un rêve de petite fille. Celui de voir l’humanité s’envoler dans l’espace à bord d’un vaisseau et s’installer sur une autre planète. Quelques années plus tard, la voilà à la tête d’Interstellar Lab, sa start-up créée en 2020 qui élabore des BioPods, modules spatiales capables de cultiver des plantes en environnement contrôlé. Mais en voulant assurer la survie de l’Homme dans l’espace, elle a peut-être trouvé la solution pour sauver la Terre.
Vous avez mis au point la solution pour recréer la vie terrestre dans l’espace, ce qui semblait pendant longtemps n’être qu’une chimère.
Barbara Belvisi : D’abord, l’essence du projet Interstellar Lab, c’est de créer, à l’intérieur d’un système totalement hermétique, les conditions idéales pour un microclimat. Il y a donc avant tout une application purement terrestre, puisque les BioPods sont comme des cocons qui permettent de produire en local ce qu’on ne devrait pas pouvoir faire pousser. À Paris, au début de l’année 2024, on en aura installé un certain nombre dans lesquels on produira des fruits de la passion, de la vanille… L’avantage de nos BioPods par rapport à une serre agricole classique tient à leur performance énergétique.
Ils consomment 98 % d’eau en moins et ont un rendement 300 fois supérieur. Pour le moment, le système est alimenté par une prise électrique, mais on travaille sur un fonctionnement avec générateurs à hydrogène, panneaux solaires et photovoltaïques. Ensuite, effectivement, il existe une application spatiale liée à la recherche en micro gravité et à la construction de modules pour nourrir les astronautes sur Mars ou au fin fond de l’espace.
Indirectement, ce que vous dites, c’est que les changements climatiques vont bientôt nous pousser à vivre sous des cloches, comme sur Mars ?
Au fond de moi, j’essaie de ne pas pousser la vision dystopique. Imaginer un décor de fin du monde avec des BioPods partout, non, ce n’est pas notre propos. Mais si les choses virent mal, on devra faire face. La perte de la biodiversité est évidente, le dérèglement climatique aussi. Nourrir 9 milliards d’êtres humains d’ici 2030 va devenir très difficile.
« Au fond de moi, j’essaie de ne pas pousser la vision dystopique.»
Derrière Interstellar Lab, il y a un storytelling assez puissant. C’est aussi fait pour ça, la science ?
Bien sûr. Ça m’ennuie un peu de faire des trucs qui ne font pas rêver, ce n’est pas mon style. Ce qui me motive le plus est de poursuivre un rêve de petite fille, ayant des applications terrestres. Ce qui m’émeut le plus, parfois à en pleurer, c’est l’impact que le projet a sur les gens. Il dépasse Interstellar Lab, il apporte beaucoup d’espoir. Nous essayons de proposer un futur très utopique, mais pas naïf. Plein de jeunes filles m’écrivent que je suis une inspiration pour elles… C’est important de raconter des histoires. Récemment, j’ai donné une interview pour le journal du Val-de-Marne. La journaliste me disait qu’elle voulait raconter mon histoire, celle d’une petite fille de Champigny-sur-Marne qui maintenant bosse avec la Nasa. C’est puissant, on a besoin de rêver un peu.
Ce regain d’intérêt pour la conquête spatiale, vous l’avez vécu de l’intérieur puisque vous avez travaillé à la Silicon Valley, avant d’installer vos activités à Ivry-sur-Seine.
La conquête spatiale était à l’arrêt y a dix ans. Son nouveau départ est dû à SpaceX avec le développement de son lanceur Falcom, et à la Nasa avec le programme Artemis. Il a fallu cela pour se convaincre qu’il allait falloir construire une station sur la lune, et y faire pousser des plantes pour éviter de trop de voyages sur Terre. Tout est une question de timing. Et puis, il y a tous les acteurs avec qui nous bossons : L’Oréal, LVMH, Givaudan. Les entreprises de cosmétiques achètent des matières premières en Asie, qu’elles ont besoin de transporter par avion.
Or aujourd’hui elles ont des contraintes en termes de réduction de CO2, de consommation d’eau, d’impacts sur l’environnement. Des solutions comme la nôtre font sens pour elles. Beaucoup plus qu’il y a dix ans. Nos BioPods nécessitent quand même une technologie particulière à laquelle on n’avait pas accès jusqu’à présent. Si nous étions arrivés les tout premiers, il aurait fallu évangéliser le marché, et je n’aurai pas eu les moyens financiers de tenir.
Powerpoint et hardware
Comment vous est venue cette idée ?
Dans ma précédente boîte, j’aidais des entrepreneurs avec des idées un peu loufoques dans le hardware, donc la création de produits. On les finançait et les accompagnait, de la présentation d’un simple Powerpoint jusqu’à la mise en boutique. J’ai passé beaucoup de temps dans les usines. On a financé des trucs cool, mais surtout pas mal de gadgets. En tout cas, rien qui apportait des solutions dans la production de nourriture, le traitement des déchets et des eaux. J’ai quitté mon poste pour imaginer dans mon appartement des systèmes à environnement contrôlé pour la Terre, des grandes serres dans lesquelles on optimiserait l’eau, l’air, etc.
Au même moment, les lanceurs spatiaux de SpaceX sont arrivés. Depuis petite, j’ai ce grand rêve de faire partie d’une espèce multi-planétaire, de vivre dans des dômes sur d’autres planètes. Ce fut une révélation. Je me suis dit que vivre sur la Lune ou ailleurs deviendrait une réalité bientôt et qu’il faudrait pour cela développer de grands systèmes à environnement contrôlé, pourquoi pas bâti sur le même design que ceux utilisés sur Terre.
«Je me suis dit que tout ça n’allait pas trop tarder, vivre sur la Lune ou ailleurs.»
Encore faut-il réussir à être prise au sérieux.
Je ne débarquais pas de nulle part, j’avais exercé dans la Silicon Valley et un bon carnet d’adresses. Ceci m’a aidée. J’ai d’abord écrit à mon ami Adeo Ressi, grand investisseur et entrepreneur américain qui a beaucoup travaillé avec Elon Musk. Avant SpaceX, ils avaient lancé une boite ensemble, Life on Mars, où ils concevaient des serres et des systèmes pour faire pousser des plantes et apporter de la vie sur Mars. Ils cherchaient des fusées pour envoyer ces systèmes. La Nasa leur a tourné le dos. C’est de là qu’est née SpaceX.
J’avais deux plans en tête : soit je présentais mon projet à Elon et essayais de le monter au sein d’un département dans SpaceX, soit je lançais ma boite. Adeo m’a proposé de venir à San Francisco. Il m’a présenté plein de gens, et la Nasa m’a accueilli les bras ouverts. C’était hallucinant ! J’ai compris alors que je tenais un truc. Mon entreprise a été créée, puis j’ai passé ensuite plus d’un an avec les ingénieurs de la Nasa à comprendre les applications terrestres des technologies spatiales.
La Nasa est-elle votre principal partenaire ?
Oui, nous avons deux contrats avec la Nasa. Pour le premier, nous venons de passer à la phase 2, avec le financement du prototype d’un système de production de nourriture. C’est comme un BioPod, de dimension plus petite, carrée. Le prototypage a lieu au Kennedy Space Center, en Floride, à Cap Canaveral. Le deuxième contrat, le plus gros, s’étale sur cinq ans. Il comprend une première étape : la lunarisation du BioPod. En parallèle, nous collaborons avec les stations spatiales pour développer nos propres modules de croissance de plantes en orbite basse. On doit aussi livrer, d’ici six mois, un système de plantes, à peu près similaire, dans la Station spatiale internationale. La même chose est en train de se mettre en place avec le CNES.
Membrane gonflable
Comment décrire le BioPod ?
C’est comme un cocon avec une double porte, un sas comme dans les stations spatiales. Il est composé d’une base en composite qui ressemble un peu à une coque de bateau. Au-dessus, se trouve une membrane gonflable, une sorte de boîte en verre flexible et durable. Tous les systèmes atmosphériques et hydrauliques sont placés dans la coque en dur. Ils créeront l’humidité, géreront la température et traiteront l’eau qui circulera un peu partout avant d’être recyclée directement dans le BioPod.
Concernant les bacs de culture, modulaires, il est possible d’en changer la taille selon le cycle et les plantes. Enfin, un système automatique apporte la solution nutritive aux plantes. Le BioPod est assemblé sur site en quelques jours, on gonfle sa membrane et on l’initialise : il se met en fonctionnement automatique et les programmes, adaptés aux types de plantes, se déclenchent tout seuls. Si on lance un programme de climat tropical, il s’autorégule et nous, nous suivons ce qu’il se passe à distance. C’est un peu un animal rigolo, un gros tamagotchi (rire).
La membrane est-elle conçue pour résister aux impacts et aux radiations ?
La version n’est pas la même selon que le BioPod est destiné à aller sur Terre ou dans l’espace. Sur Terre, la membrane aura deux couches, avec des coussins d’air pour créer de l’isolation. Dans l’espace, elle en aura vraisemblablement quatre, qui alterneront entre eau, air et un autre matériau. Travailler sur la combinaison des matériaux fait partie de l’accord avec la Nasa. La membrane est autonettoyante, recyclable, et peut résister aux tempêtes de sable et aux petits projectiles. Son avantage est qu’elle se répare très vite. On me demande souvent si elle peut résister à un choc avec une météorite. La réponse est non. Mais qu’est-ce qui résiste à l’impact d’une météorite ? Pas grand-chose.
« Il fallait parler d’Interstellar pour attirer ces gens. »
Votre équipe est composée de gens du CNES, de la Nasa, d’Airbus, de Dassault. Comment avez-vous fédéré une telle équipe en si peu de temps ?
N’étant pas millionnaire, ma stratégie a consisté à faire beaucoup de communication. Il fallait parler d’Interstellar pour attirer ces gens. Pendant un an à partir de septembre 2018, tout le travail a été axé sur ce domaine. À la fin de l’année 2019, une présentation du projet à Slush Helsinki m’a permis d’avoir de nombreux articles dans la presse et de susciter l’intérêt de plein de responsables dans la tech’. Avec une petite agence, j’ai réalisé une vidéo pour montrer ce que nous voulions faire. Grâce à cela, dès le début, plein de gens, dont pas mal d’anciens de SpaceX, ont postulé pour nous rejoindre. J’ai pu ainsi constituer une petite équipe.
Le nom de votre start-up, Interstellar Lab, en référence au film de Christopher Nolan, attise aussi la curiosité.
Oui, sauf que je veux changer la fin du film. Nous ne voulons pas être obligés de trouver une exoplanète et de construire un vaisseau pour sauver l’humanité et quitter la Terre. Notre projet est de nous installer dans de grands vaisseaux, mais sans quitter la Terre. C’est marrant, j’ai rencontré un journaliste scientifique français qui a travaillé sur la première version du scénario d’Interstellar. C’est Spielberg qui devait réaliser le film, mais il y a renoncé, il trouvait l’histoire bancale, incohérente. Pour lui, il n’est pas possible d’apporter la vie dans l’espace sans protéger la Terre. Je partage cette idée.